L’UE et le Canada ont rendu public vendredi 26 septembre à Ottawa le texte du traité baptisé « accord économique et commercial global » (en anglais Comprehensive Economic and Trade Agreement ou CETA). Si le débat public a davantage tourné ces derniers mois, notamment lors de la campagne des élections européennes, autour du traité en cours de négociation entre l’UE et les Etats-Unis (TTIP), cet accord avec le Canada de 42 chapitres et 1 500 pages présente bien des traits similaires et ne doit pas être négligé.
Ces deux textes s’inscrivent en effet dans la logique promue par les libéraux et la Commission européenne depuis des années qui voudrait que le libre-échange aboutisse forcément à un bénéfice important pour les citoyens. Or, l’expérience nous montre que les promesses qui précèdent la signature d’un accord sont peu fiables, alors que les risques de fragilisation de notre économie sont, eux, avérés.
Dans la même logique que le TTIP, le CETA vise à ouvrir totalement le marché européen aux biens et services canadiens, et réciproquement. Et comme le TTIP, il comprend un «mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etats» ou ISDS en anglais qui permettrait aux entreprises s’estimant lésées par des décisions publiques d’attaquer les Etats devant un tribunal arbitral privé. Les enseignements de l’application de tels dispositifs à l’occasion d’accords antérieurs suscitent pourtant de très fortes réserves, y compris en Allemagne dont les dirigeants sont pourtant traditionnellement enclins à accueillir favorablement ce genre de traité.
En effet, les normes sanitaires, sociales et environnementales instaurées pour protéger les citoyens suite à des décisions relevant de la souveraineté des Etats (par exemple en France les mesures de lutte contre le tabagisme ou l’interdiction d’exploiter les gaz de schiste) pourraient être contestées devant un organe n’ayant pas la moindre légitimité démocratique. Inclure l’ISDS au CETA parait particulièrement problématique au moment où la nouvelle commissaire européenne en charge du commerce extérieur et Jean-Claude Juncker lui-même émettent des réserves sur l’opportunité de ce mécanisme dans le cadre du TTIP.
Le CETA doit désormais être ratifié par le Conseil européen des chefs d’Etats et de gouvernements de l’UE puis soumis au vote du Parlement européen. Il ne s’agit pas d’une simple formalité puisque les réserves sont très nombreuses parmi les députés européens, notamment au sujet de l’ISDS qui inquiète particulièrement au-delà même des rangs de la gauche. On se souvient de l’accord anti-contrefaçon jugé attentatoire aux libertés publiques et rejeté par le Parlement en 2012.
Le CETA présente à mes yeux plusieurs points litigieux qui restreignent la capacité régulatrice de la puissance publique. C’est le cas à travers l’obligation de donner l’accès sans limite au marché européen et bien sûr avec l’ISDS dont l’acceptation aujourd’hui créerait un précédent dangereux pour les négociations du traité transatlantique avec les Etats-Unis. Il menace aussi l’accès aux services publics dont les missions pourraient être ouvertes au secteur privé canadien. De plus, une clause de « non-retour » prévoit que ce qui aura été libéralisé le restera, ce qui signifie l’impossibilité, dans le futur, de créer de nouveaux services publics ou de remettre sous contrôle public des services délégués à des opérateurs privés.
Il faut mettre en balance ces risques importants pour le modèle social européen et ces transformations politiques d’ampleur pour les citoyens européens et canadiens avec le gain économique pour l’UE que nous promet la Commission suite à une ratification du CETA, soit 0,09% supplémentaires par an de croissance économique dans sa projection la plus optimiste… C’est pourquoi comme de nombreux députés S&D je ne voterai pas un accord CETA comprenant de telles dispositions lorsqu’il sera présenté devant le Parlement européen.