Article paru dans Le Monde - édition du 13.10.13
Le chef de file de l'aile gauche du PS, qui réunit ce week-end son courant, rêve toujours de voir une « majorité alternative » remplacer l'équipe « sociale-libérale » aux commandes
Si l'on en croit le dicton, Emmanuel Maurel est un imbécile. «Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis», paraît-il. M. Maurel, lui, ne s'en cache pas : il n'a «pas changé d'idées depuis l'âge de 17 ans». Et il en a bientôt 40. Une telle continuité de pensée fait de lui, surtout en ces temps de rude adaptation de la gauche au pouvoir, une sorte de gardien du temple socialiste, même s'il récuse l'expression.
Chef de file de l'aile gauche du PS, depuis ses 28% militants face à Harlem Désir au congrès de Toulouse d'octobre 2012, il incarne la fidélité à des principes que plusieurs, dans sa propre famille, jugent désormais archaïques. «Socialo-vintage» pour la presse, il défend la «redistribution des richesses», «l'Etat-stratège» ou le «rééquilibre des pouvoirs institutionnels», pestant en privé contre la triangulation politique d'un Manuel Valls ou les tendances «libérales-libertaires» de son parti en matière de moeurs.
Autant dire qu'il digère mal le «socialisme de l'offre» et l'ultra-présidentialisation de la Ve République, assumés depuis dix-huit mois par ses camarades, François Hollande en tête. «Vous imaginez ce que vit quelqu'un comme moi qui milite depuis plus de vingt ans à gauche et doit avaler, en cette rentrée, le ras-le-bol fiscal, les Roms et le travail le dimanche ?», lâche-t-il entre deux bouffées de cigarette roulée.
Du 11 au 13 octobre, M. Maurel réunit à Bierville (Essonne) les militants de son courant, Maintenant la gauche, qu'il anime avec la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann et le député Jérôme Guedj. L'écologiste Jean-Vincent Placé et le communiste Pierre Laurent sont invités à débattre de «la gauche rassemblée», autre nom de cette «majorité alternative» que le quadra rêve de voir remplacer la gauche «sociale-libérale» aux commandes.
Pari gagnant
Comme Obélix - rien à voir avec le léger embonpoint qu'il essaie de gommer par le sport -, l'actuel vice-président de la région Ile-de-France chargé de l'emploi et de la formation professionnelle est tombé tout petit dans la marmite socialiste. Né le 10 mai - ça ne s'invente pas - 1973 à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), son état civil synthétise le jour de l'élection de Mitterrand en 1981 et la ville où, en 1971, la SFIO muta en Parti socialiste lors d'un congrès historique.
Issu d'une mère prof de maths «plutôt à gauche» et d'un père ingénieur agronome «plutôt au centre», le jeune Maurel adhère au PS à 17 ans. Il devient vite, comme un certain Jean-Marc Ayrault, disciple de Jean Poperen, n°2 du parti sous Mitterrand et figure de ce que l'on ne nommait pas encore l'aile gauche. Collaborateur au Sénat de Jean-Luc Mélenchon pendant son stage de fin d'études à Sciences Po, il cheminera ensuite pendant une décennie avec Alain Vidalies, l'actuel ministre des relations avec le Parlement, avant une rupture politique autant qu'amicale en 2008.
En 2012, quand Benoît Hamon décide de quitter le flanc gauche pour rejoindre avec ses troupes la direction du PS, M. Maurel, lui, fait le choix de «se compter». Pari gagnant puisque depuis, s'il reste inconnu dans l'opinion et minoritaire dans l'appareil socialiste, il s'est fait un nom auprès des militants. Claude Bartolone, le président de l'Assemblée nationale, ne tarit plus d'éloges à son sujet, Jean-Marc Ayrault le reçoit... mais pas François Hollande. «Nous lui sommes indifférents», constate, un brin amer, M. Maurel.
Etiqueté «intello du PS», cet amoureux de Chateaubriand et Flaubert, auteur d'une maîtrise sur «l'éloquence et le lyrisme dans la poésie de Malesherbes», a longtemps péché par «manque d'ambition». «A 10 ans, je rêvais d'être un grand chef d'orchestre. A 15, un grand cinéaste. A 20, un grand écrivain. Mais je n'ai jamais rêvé d'être président de la République», avoue-t-il sans peine, contrairement à d'autres quadras au PS.
Aujourd'hui, il a remisé violon, piano et hautbois, remplacé le 7e art par les séries américaines (The Wire, House of Cards, Game of Thrones...) qu'il regarde «jusqu'au bout de la nuit», mais part toujours en vacances avec Proust et Morand dans sa valise. Déçu du hollandisme - «il est arrivé à me faire rêver pendant une heure, au Bourget, en 2012» -, il peste contre un chef de l'Etat qui «n'a pas le sens du tragique» et préfère les rapports économiques aux romans, quand Mitterrand citait Montaigne et visitait Kundera.
Signe de son évolution, M. Maurel compte se frotter bientôt au suffrage universel. Certains l'auraient bien vu candidat aux municipales de Lille sur la liste de son «amie» Martine Aubry, mais lui préfère être député européen. Il vise l'investiture dans le Sud-Est, pour y affronter Jean-Marie Le Pen, mais devra pour cela écarter le ministre de l'éducation, Vincent Peillon, lui aussi sur les rangs. Le lecteur de Cioran et Beckett, «des perdants magnifiques», a semble-t-il décidé de devenir un gagnant. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.
Bastien Bonnefous