Tribune publiée le 11 mai par Pascal Cherki, maire du XIVème arrondissement de Paris
Je suis toujours assez surpris quand je constate que l’accessoire tend à prendre le pas sur l’essentiel. L’accessoire c’est bien évidemment l’affaire de la Porsche de DSK. Franchement ce n‘est pas très malin quand on aspire éventuellement à être candidat à l’élection du Président de la République française que de se faire photographier en train de monter dans une voiture de marque étrangère, allemande en l’espèce, et qui plus est une Porsche. Que cette voiture en outre appartienne à un des membres de la garde rapprochée de DSK chargé de gérer sa communication est plutôt cocasse et en dit long sur les dangers auxquels s’exposent les hommes politiques à trop vouloir déléguer à des communicants déconnectés de la réalité profonde du pays la gestion de leur image. Au demeurant cette affaire est secondaire au regard des enjeux et des débats qui devraient normalement traverser la classe politique. Elle est surtout révélatrice de l’état de vide sidéral qui saisit le débat politique actuel et sur l’encéphalogramme d’une presse dans notre pays plus préoccupée de flairer les éventuels « bons coups » médiatiques que de contribuer à tirer vers le haut le débat politique. Mais là encore, les hommes et les femmes politiques n’ont qu’à s’en prendre qu’à eux-mêmes tant ils récoltent le fruit des relations qu’ils ont, dans leur grande majorité, délibérément entretenues avec la sphère médiatique depuis des années. Des relations où la forme a toujours pris le pas sur le fond et où l’image et le positionnement ont toujours plus compté que les idées. Ceci bien sûr pour le plus grand bénéfice de toutes celles et de tous ceux, la minorité des gens très fortunés, la classe des nouveaux aristocrates comme les appelait fort justement Lionel Jospin, qui souhaitent surtout que les grands équilibres ne soient jamais remis en cause. Dès lors certains aspirent fortement à ce que le décor des primaires socialistes se résume à un seul choix de style au détriment d’un vrai et nécessaire débat sur des options de fond dans notre pays. Et pour y parvenir, ils se délectent déjà de l’éventuel affrontement entre DSK et François Hollande, l’affrontement du le lièvre et de la tortue. En agissant ainsi ils omettent, volontairement ou involontairement, plusieurs paramètres qui seront déterminant sur l’issue finale.
En premier lieu c’est faire un peu rapidement fi de la candidature de Martine Aubry. Je ne vois pas, à part les bruissements du landernau, ce qui permet aujourd’hui d’affirmer avec certitude qu’elle aurait renoncée. Martine Aubry reste la plus légitime pour conduire cette bataille. Tout d’abord en sa qualité de Première Secrétaire du PS, donc de chef du premier parti d’opposition. Sa candidature serait la plus logique et la plus légitime et s’inscrirait dans la normalité des candidatures des chefs de parti en France et dans la plupart des pays européens. Sinon, je ne le répéterai jamais assez, à quoi bon s’escrimer à construire des formations politiques, si le choix majeur de l’incarnation d’une démarche politique lui échapperait en définitive au risque de vider de toute substance l’utilité de ces cadres politiques. Cela peut être un projet pour la droite et le camp conservateur, ceci est en totale contradiction avec les valeurs du camp progressiste et de la gauche faites de recherche de dynamiques collectives plutôt de recherche de l’homme ou de la femme providentielle. Ensuite, la candidature de Martine Aubry est la plus à même, aujourd’hui, parmi les socialistes pour rassembler l’ensemble de la gauche. Ce qui est loin d’être le cas avec DSK ou François Hollande. Or, le rassemblement de la gauche, je parle ici des électrices et des électeurs, donc la dynamique du premier tour est essentielle si on veut posséder une chance de le franchir et d’avoir une chance de l’emporter au second tour. Certains oublient un peu trop vite que la capacité à élargir ses marges au second tour, c’est-à-dire à décrocher des électeurs indécis, dépend grandement de la force accumulée au premier tour. La gauche n’a jamais gagné une élection présidentielle en étant faible au premier tour. De ce point de vue les sondages ne nous apprennent rien aujourd’hui, à un an de l’élection, si ce n’est que de se rappeler que celles ou ceux qu’ils mettaient sur un piédestal se sont retrouvés être systématiquement les grands absents ou les grands perdants de la confrontation finale. C’est pourquoi je persiste à penser que Martine Aubry est la plus qualifiée pour conduire cette bataille et que pèse sur elle une importante responsabilité, celle de ne pas décevoir et de ne pas faillir à son devoir politique à défaut de quoi elle redeviendrait une simple secrétaire administrative du PS quand il lui est demandé d’endosser le costume de leader de la gauche et de future Présidente de la République.
En second lieu, la condition de la victoire de la gauche, donc d’une ou d’un candidat socialiste, dépendra largement du centre de gravité politique de la campagne. Si nous faisons campagne au Centre avec comme thématiques principales la volonté de réduire en priorité l’endettement public, la poursuite bon an mal an de la construction européenne sur les bases actuelles faites de soumission au libre échange généralisé, l’absence de volonté forte de mettre un coup d’arrêt aux dérives du système financier et l’abandon de toute velléité de nouvelles répartitions substantielles des richesses au nom de la prétendue nécessité de ne promettre que ce que l’on pourra tenir, c’est-à-dire au final peu ou très peu, alors nous aurons les plus grandes difficultés à convaincre une majorité de nos concitoyennes et de nos concitoyens de l’utilité d’un vote en notre faveur. C’est pourquoi la campagne du candidat ou de la candidate socialiste doit être clairement à gauche. Non pas en aboyant sur la ligne du « qu’ils s’en aillent tous » qui n’est au fond qu’un cri éruptif traduisant une impuissance à conceptualiser, au moment où il est prononcé, un nouveau chemin. Mais au contraire en dégageant quelques lignes de force qui indiquent très clairement que notre volonté n’est pas de s’apitoyer sur la situation de la majorité de nos concitoyens qui ont le sentiment d’être au fond du trou mais bien de commencer à leur proposer d’en sortir. A mon très humble avis, ces quelques lignes de force pourraient se présenter ainsi :
C’est l’impensé principal de la gauche, celui qui a fait trébucher la direction du PS lors du référendum de 2005 sur la Constitution européenne. Les françaises et les français ne sont pas des adversaires de la mondialisation. Et pour cause, depuis ses origines la France pense son rapport comme partie prenant du reste du monde. On qualifie souvent la France de Nation à vocation universelle. Sans paraphraser Fernand Braudel qui parlait des trois directions majeures vers lesquelles la France penchait simultanément, la direction continentale, la direction atlantique et la direction méditerranéenne, force est de constater que l’histoire de la France et des français se confond avec le reste de notre planète. Par son entreprise de colonisation au 19ème siècle, par le rang qu’elle occupe par sa place de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, par les 200 000 millions de francophones dans le monde, par ses 2 millions de concitoyens expatriés, par les valeurs politiques à vocation universelle de la Révolution Française, notre pays et ses habitants sont pleinement partie prenante de la mondialisation. Mais les françaises et les français ne confondent pas la légitime aspiration de tous les peuples, donc d’eux-mêmes, à maîtriser leur développement économique et à construire un haut modèle de développement social avec la réalité de cette mondialisation faite de suppressions totales des barrières commerciales et de globalisation financière qui les conduit tout doucement vers une pente qu’ils perçoivent comme de plus en plus déclinante. Et, ils ne comprennent pas pourquoi l’Europe devrait être la zone la plus ouverte sans contrepartie et au risque de subir une concurrence fracassante et déloyale d’autres zones qui n’hésitent pas à se protéger et dont le coût de la force de travail conduit inexorablement à la désindustrialisation de l’Europe. C’est pourquoi la question de la réciprocité dans les échanges, donc de la mise en œuvre de barrières tarifaires à l’entrée de la zone Europe, de la lutte contre les délocalisations en conditionnant accès au marché et production sur le marché deviennent aujourd’hui une nécessité. Peu importe que quelques épigones de la mondialisation joyeuse qui, pour certains, occupent d’éminentes fonctions dans de grandes institutions internationales tout en ayant toujours en poche une carte du Parti Socialiste pensent le contraire.
Les socialistes doivent se réapproprier la question du plein emploi comme objectif cardinal de leur politique. Bien sûr les emplois jeunes sont nécessaires mais seuls ils ne sont qu’une variante avancée du traitement social du chômage. Or, afin de satisfaire les actionnaires qui en demandent toujours plus on a laissé se déformer considérablement le partage de la plus value au profit de la rémunération des actionnaires et au détriment des salariés qui ont vu leurs salaires relativement comprimés. Du coup nous subissons une croissance molle depuis plusieurs années et nous comptons sur deux leviers pervers pour alimenter la nécessaire machine à consommer. Le premier levier c’est d’espérer que les ménages tireront sur leur épargne, ce qui marche peu en France où l’épargne individuelle est forte et fonctionne que trop bien aux Etats-Unis où elle est trop faible. En conséquence de quoi, le levier principal sur lequel les gouvernements ont joué est la lutte contre l’inflation. Les salaires n’augmentent pas mais les prix non plus et des prix bas doivent tirer la consommation. Cela rejoint la préoccupation des détenteurs d’actifs financiers qui ne souhaitent pas voir leurs actifs se déprécier en raison de l’inflation. C’est pourquoi il est impératif de remettre en cause la logique actuelle de fonctionnement de la Banque Centrale Européenne. Cette névrose de la lutte contre l’inflation rejoint une seconde névrose, celle de l’obsession de la réduction des déficits publics. N’oublions pas de rappeler que les déficits publics trouvent principalement leur origine dans le double mouvement d’affaiblissement des ressources des Etats par une diminution constante et régulière de la pression fiscale sur les plus fortunés ou sur le capital conjuguée à la prise en charge par les budgets nationaux des dérives de fonctionnement du système bancaire au nom de la nécessaire sauvegarde de celui-ci pour éviter une crise systémique. Dés lors, un candidat socialiste devrait, si il est conséquent, se rappeler des enseignements de Keynes selon lesquelles, en période de crise, la première tâche d’une politique publique est d’euthanasier la rente pour relancer l’investissement productif et la consommation des ménages. Cela passe par une véritable volonté de cloisonner les différentes branches du système financier, bien au-delà des mesurettes vaguement moralisatrices prises dans le cadre du G 20 et de l’Union Européenne. A défaut nous laisserons perdurer ce capitalisme de bulles qui ne manquera pas prochainement de provoquer un séisme de plus grande ampleur encore que celui issu de la crise des subprimes.
La France est une Nation de catholiques républicains. Le catholicisme et la République sont les deux soubassements culturels profond qui structurent la France. C’est un laïc dont une grande partie de la famille est de confession juive qui vous le dit. Or, la valeur cardinale du catholicisme c’est l’égalité quand celle du protestantisme est la liberté. C’est ce qui explique à mon avis la grande différence qui peut exister entre l’arc continental occidental et l’univers anglo-saxon. C’est aussi pourquoi, au demeurant, l’intégration de l’Islam dans la société française ne devrait pas poser de problèmes majeurs puisque celle-ci est aussi une religion égalitaire. Mais les français ne sont pas n’importe quel type de cathos. Ce sont des cathos républicains. Donc des cathos évoluant dans un espace public profondément laïc et qui aspire à le rester. Et surtout, des cathos profondément matricés par les valeurs durablement enracinées de la Révolution française, dont la plus importante là encore est l’égalité. Voici pourquoi il est fréquemment affirmé que les Français auraient la religion de l’égalité. En France la construction de l’égalité s’est faite par la République au moyen de l’Etat. Il existe dans notre pays un triptyque indissociable entre l’Egalité, la République et l’Etat. Qu’est-ce que veut dire l’égalité pour les français ? Sûrement pas l’identité des conditions réelles. Personne ne pense dans notre pays qu’une infirmière doit gagner autant qu’un chef de service de chirurgie ou qu’un ouvrier doit gagner autant qu’un patron. L’égalité signifie deux choses en France. Premièrement comme le dit l’article I de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » et que aussi « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». C’est donc plus les écarts de condition ou de richesse qui sont l’objet de débat surtout quand ils apparaissent disproportionnés et injustifiés. Voici pourquoi les Français sont pour l’ISF, contre le bouclier fiscal qui offre des ristournes à Madame Bettencourt. Voici pourquoi les salaires pharaoniques des patrons du CAC 40 choquent, voici pourquoi l’idée de plafonner les salaires de 1 à 20 fait son chemin. Deuxièmement, l’égalité c’est la possibilité d’améliorer ses conditions d’existence tout au long de sa vie et d’entretenir l’espoir de la réalisation par ses enfants d’une partie de ses rêves inaboutis. C’est la merveilleuse idée de l’ascenseur social qui est la matérialisation concrète dans la conscience populaire de l’idée de progrès. Or, en France, le garant d’un ascenseur social efficient c’est l’Etat. Par l’école publique d’abord aux débuts de la République et par l’Etat social et providence ensuite au sortir de la second guerre mondiale. C’est pourquoi les beaux esprits girondins qui peuplent nos élites se trompent si ils pensent que l’Etat est dépassé. Au contraire les Français souhaitent de plus en plus la reconstruction d’un Etat fort, garant de l’intérêt général et agent concret de la réalisation de la promesse progressive de l’égalité. Cette aspiration est d’autant plus importante que depuis des décennies l’on s’est attaché, et plus particulièrement et plus brutalement quand la droite gouverne, à déconstruire l’Etat. Marine Le Pen l’a très bien compris et en a fait son cheval de bataille quand nous restons englué dans une pensée molle du type « non pas plus d’Etat mais mieux d’Etat » ou je ne sais quelles autres fadaises qui font sûrement les joies des enseignants de Sciences-Po ou de l’ENA mais pas celles du peuple français. En conséquence, la reconstruction de l’Etat va de pair avec la reconquête de la démocratie. Nous avons abandonné l’Etat gaulliste paternaliste et conservateur pour lui substituer ces dernières décennies un Etat impuissant et dominé par un clan regroupant une élite patronale, une élite financière, des fondés de pouvoir politiques et des porte voix médiatiques qui se comportent en propriétaires de la France faisant régner sur celle-ci un climat détestable d’Ancien Régime où mieux de synthèse entre le caporalisme bonapartiste, le petit, et d’affairisme louis phillipard. Cela se traduit par le sentiment que quoique la majorité du peuple pense ou quoi qu’elle dise, c’est toujours cette minorité qui aura le dernier mot. La gestion des mouvements sociaux ces dernières années ou le non respect du vote massif en faveur du Non en 2005 en sont les manifestations les plus criantes. Ne pas s’attaquer à cela est le meilleur moyen de renforcer le désespoir et le populisme.
Je m’arrête là ayant déjà été fort long dans mes développements. Je conclus donc provisoirement ces libres propos avec la conviction que ces thèmes doivent être au cœur du débat des primaires et que, si par extraordinaire Martine Aubry se rétractait dans sa volonté d’être candidate, la question se poserait alors qu’une ou qu’un de nous relève le gant afin de redonner un sens à ces primaires et un espoir à la majorité de nos concitoyennes et de nos concitoyens, un sens et un espoir fondé sur un vrai choix.