Après les avancées significatives portées par l’Assemblée nationale, le Sénat examinait cette semaine la loi de séparation et de régulation bancaire.
Dans un travail indispensable d’amélioration du texte, Marie-Noëlle Lienemann a déposé plus de 30 amendements dont vous retrouverez les points forts ci-dessous. Vous pouvez également retrouver son intervention en discussion générale à la tribune du Sénat lors de ces débats.
Les avancées du texte qu'elle a portées et qui ont été reprises par l’ensemble du groupe socialiste du Sénat :
1.L’obligation pour les banques de publier pays par pays leurs bénéfices/ pertes avant impôt, le montant total des impôts dont elles sont redevables et les subventions publiques perçues (vise notamment la présence dans les paradis fiscaux)
2. Le rapport précis que le Gouvernement doit remettre au Parlement fin 2014 quant aux conséquences de la loi de séparation sur la taille et la nature des opérations des filiales, les volumes des opérations de trading à haute fréquence et la spéculation sur les matières premières agricoles (vise à évaluer la portée de la présente loi et la nécessité ou pas de passer à une deuxième phase de stricte séparation)
3. La faculté pour les Assemblées Générales d’actionnaires de donner leur avis sur la rémunération des dirigeants et de suspendre les bonus en cas de faillite
4. Fixation d’un quota d’activité pour les banques quant à leurs prises de positions sur le marché des matières premières agricoles
Les amendements principaux qu'elle a portés à titre personnel et repris par plusieurs de ses collègues :
1. Interdiction des hedge funds pour les opérations réalisées en faveur des clients des banques et pas seulement que pour le compte propre des banques
2. Filialisation de toutes les opérations réalisées avec une contrepartie dans un paradis fiscal
3. Interdiction de l’ensemble des opérations de négoce à haute fréquence, facteur et outil de spéculation
4. Obligation pour les banques de publier dans un rapport annuel leur participation au financement de l’économie réelle (collecte, crédit aux particuliers, aux petites moyennes et entreprises de taille intermédiaire ainsi qu’aux structures de l’économie sociale et solidaire)
5. Interdiction de toutes les opérations de spéculation non couvertes par un risque sur le marché des matières premières agricoles et pas seulement celles, minoritaires, réalisées pour leur compte propre
6. Interdiction des stock-options pour les dirigeants des établissements de crédit
7. Obligation de publicité pour les rémunérations des dirigeants de tous les établissements de crédit
8. Introduction d’au moins deux représentants des salariés dans les organes de direction des établissements de crédit
9. Introduire d’une résiliation annuelle des assurances garantissant aux emprunteurs un libre choix tout au long de leur prêt sans avoir à verser d’indemnités, va dans le sens d’une meilleure protection
Intervention de Marie-Noëlle Lienemann lors de Discussion générale au Sénat le Mercredi 20 mars 2013
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on nous avait annoncé, lors des fameux G20 de 2008 et de 2009, qu’on allait moraliser le capitalisme et réguler l’économie, en particulier bancaire. La réalité, c’est que tout continue comme avant !
Après avoir chuté, les bénéfices des banques sont revenus à leur niveau d’avant la crise. Les versements des dividendes n’ont enregistré presque aucun recul. La part de la rémunération variable moyenne des banques d’investissement actives au niveau mondial a, certes, diminué entre 2007 et 2011, mais les salaires fixes ont augmenté.
J’espère, monsieur le ministre, que vous y serez sensible, je me permets de citer l’excellent rapport de M. Peer Steinbrück, président du groupe SPD au Bundestag, qui prône une nouvelle approche des marchés financiers. Son diagnostic va particulièrement loin. Selon lui, les paradis fiscaux n’ont pas disparu et les produits dérivés, partout dans le monde, sont en hausse.
Ainsi, le montant global des actifs des hedge funds n’a-t-il jamais été aussi élevé dans l’histoire.
Il atteint 2 300 milliards de dollars, dont 1 395 milliards offshore. En 2000-2001, on n’en était qu’à 750 milliards de dollars, dont 500 milliards offshore. Certes, ces chiffres ont reculé en 2008, mais pour mieux reprendre leur ascension, et bien plus fortement qu’auparavant.
La spéculation continue, les produits dérivés se multiplient et le système français n’est, hélas, pas en reste. Penchons-nous, par exemple, sur les montants notionnels des instruments dérivés de la BNP, la tendance étant identique pour les autres grandes banques systémiques françaises. En 2011-2012, ils ont atteint 47 000 milliards d’euros. Ils n’étaient pourtant que de 10 000 milliards d’euros dans les années 2000, et ont donc été multipliés par quatre. En 2008, ils ne représentaient encore que 38 000 milliards d’euros.
La crise n’a donc pas réduit la demande de produits dérivés, qui a continué de progresser, et plus fortement que par le passé.
Donc, la spéculation ne recule pas, elle augmente.
Pendant ce temps, les PME ont de plus en plus de mal à obtenir des crédits pour développer leurs activités. Il convient donc de se réjouir de la création de la BPI ! Pendant ce temps, un nombre de plus en plus important de nos concitoyens payent des frais bancaires importants, ont des difficultés pour accéder au crédit ou se trouvent pénalisés dans le cadre de leurs opérations bancaires.
Dans ces conditions, ce projet de loi est bienvenu, car son objectif, comme ce devrait d’ailleurs être celui des textes européens, est de recentrer notre secteur bancaire sur sa mission, à savoir l’intermédiation entre le dépôt, l’épargne et l’économie réelle. Voilà la seule mission qui compte pour les banques !
Ce texte devrait assurer une seconde mission : prémunir les déposants et les contribuables des risques, en particulier les risques spéculatifs.
Pour ma part, j’estime qu’il faut être lucide. Non, les crises bancaires, qu’elles soient européennes ou mondiales, ne sont pas obligatoirement derrière nous !
Je suis d’ailleurs étonnée que personne n’ait parlé de Chypre. Je sais bien que son système bancaire est particulier. Néanmoins, quand il y a une crise bancaire quelque part, on observe toujours un effet ailleurs : c’est l’effet domino !
Surtout, M. Philippe Wahl, président du directoire de La Banque postale, affirmait, le 26 février dernier, dans un colloque organisé par The Economist : « Il y aura une nouvelle crise bancaire, nous le savons. […] Nous savons d’où elle viendra. » Il ciblait ce que l’on appelle les « systèmes parallèles », en particulier les fonds alternatifs.
Si nous sommes d’accord sur le risque d’une nouvelle crise bancaire, il faut regarder lucidement la situation française : nous sommes particulièrement vulnérables. Notre pays compte quatre, voire cinq, mégabanques. Au classement des plus grandes banques mondiales, la BNP occupe la sixième place, le Crédit agricole la neuvième, la Société générale la dix-neuvième, le groupe Banques populaires-Caisses d’épargne la quarante et unième. Or, dans toutes ces banques, la part des activités d’investissement est particulièrement élevée. Les activités d’investissement des deux premières banques françaises, la BNP et le Crédit agricole, sont plus importantes que celles de Goldman Sachs et de Morgan Stanley réunies !
Notre secteur bancaire est donc particulièrement vulnérable.
J’ai longtemps cru que disposer de banques de taille mondiale était un atout. J’étais de ceux qui pensaient que c’était bon pour la grandeur de la France. Eh bien aujourd’hui, je pense exactement l’inverse : ce sont des colosses aux pieds d’argile ! En Allemagne, ce pays auquel on se réfère toujours lorsqu’il s’agit de réduire les droits sociaux, il y a une mégabanque et 1 500 petites banques de proximité. Les ingénieurs allemands ne se consacrent pas, comme nos polytechniciens, à l’élaboration de produits dérivés : ils vont travailler dans l’industrie, parce que les banques allemandes pratiquent bien davantage l’investissement direct dans l’économie ou dans la dette nationale que les investissements spéculatifs.
Nous devons être conscients de la réalité de la situation des banques françaises. Évidemment, ce n’est pas du jour au lendemain que l’on pourra changer complètement de modèle !
Les actifs des cinq grandes banques françaises présentant un risque systémique s’élèvent à 335 % du PIB du pays. Aux États-Unis, les actifs des huit banques systémiques représentent 61 % du PIB national.
Pour ma part, j’estime que le temps est venu d’aller vers une séparation des activités. Je prends acte du fait que ce projet de loi qui, certes, ne va pas assez loin, constitue un progrès. Ce progrès, nous devons l’approfondir, comme l’Assemblée nationale l’a déjà fait ! À cette fin, j’ai déposé trente amendements : nous devons aller le plus loin possible pour instaurer une séparation étanche entre activités utiles à l’économie et activités spéculatives. Je le dis tout net, je crains que l’accélération des crises ne renforce la nécessité d’une seconde étape. Je pense que le Gouvernement, attentif à garantir la sûreté des dépôts des Français, soucieux de l’avenir de notre économie et du redressement de notre pays, sera amené, un jour ou l’autre, à nous proposer cette nouvelle étape ; réussissons déjà la première !