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17 août 2014 7 17 /08 /août /2014 09:10

LE MONDE | 15.08.2014 à 12h15 | Par Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj et Daniel Vasseur

A la faveur de la récente décision du Conseil constitutionnel censurant les allégements de cotisations salariales jusqu’à 1,3 fois le smic, certains voudraient enterrer le projet de contribution sociale généralisée (CSG) progressive, c’est-à-dire modulée en fonction des revenus de manière à être plus équitable et à peser moins sur les plus modestes. Ils en profitent pour proposer, à la place, un renforcement du revenu de solidarité active (RSA), "activité" qui permettrait de réduire les «trappes à inactivité», à savoir le versement d’une prime publique aux travailleurs pauvres. Ce serait la seule solution pour mieux les rémunérer et inciter au travail les peu qualifiés, puisque leur employeur ne peut les payer qu’à hauteur de leur – faible – productivité, sous la contrainte de la loi du marché. On reconnaît là une vision du monde économique et social que l’on peut qualifier de «sociale-libérale».

Les bonnes intentions demeurent mais le marché est «objectif». Sans qu’il soit question ici de rentrer dans ce débat de principes sur le fonctionnement de la société, il importe de souligner, pour la bonne information de nos concitoyens, qu’il est factuellement inexact de prétendre que la jurisprudence du Conseil constitutionnel et, en particulier, sa récente décision, condamnent le projet de CSG progressive.

En réalité, celle-ci portait sur les seules cotisations salariales et le Conseil constitutionnel les considère d’une nature différente des cotisations patronales mais aussi de la CSG, qui est un impôt. Les cotisations salariales créent des droits à des prestations a priori proportionnelles aux cotisations versées, comme les retraites. A cet égard, on parle de droits «contributifs», car normalement soumis à la condition initiale du paiement de cotisations. Les Sages ont jugé cette différence de traitement anticonstitutionnelle. A contrario, les impôts, comme la CSG, ne créent pas de droits et ne relèvent pas de la même approche. Au contraire, la répartition équitable de l’impôt entre tous les citoyens, «en raison de leurs facultés», comme le dit la Déclaration des droits de l’homme, justifie plutôt que l’impôt soit progressif, c’est-à-dire que son taux augmente avec les revenus, tant il est vrai qu’on peut plus facilement se priver du superflu quand on est riche que du nécessaire quand on est pauvre.

Si, en 2000, les Sages ont censuré un projet de réforme de la CSG destiné à favoriser les salariés les plus modestes, ils ne l’ont pas fait au motif qu’elle ne saurait être progressive. Ils ont argué que le législateur, s’il souhaitait aller dans ce sens, aurait dû prévoir, dans le calcul de cet impôt, la prise en compte de l’ensemble des revenus du foyer et des charges de famille, qui définissent sa «capacité contributive».

Il y aurait beaucoup à dire sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel et sur les pouvoirs qu’il s’est octroyés. Ainsi distingue-t-il de manière stricte les cotisations patronales, devenues progressives avec son assentiment, les cotisations salariales qui ne peuvent pas l’être et, enfin, la CSG qui peut l’être, mais seulement sous certaines conditions. Ces distinctions n’ont souvent guère de fondement économique. De même, on peine à trouver, dans la Constitution, les articles pouvant légitimer de telles règles. Les justifications apportées par les Sages dans ces décisions tiennent d’ailleurs en quelques formules lapidaires.

Il n’en reste pas moins qu’un barème de CSG fondé sur la déclaration de revenus fiscaux, ce qui n’était pas le cas du projet de ristourne dégressive en 2000, s’avère compatible avec cette jurisprudence et évite tout risque de censure. Elle permettrait aussi d’amorcer la réforme globale de nos prélèvements obligatoires, visant à les rendre plus justes et rationnels, ce dont notre pays a grand besoin, à l’heure où l’on constate un affaiblissement du consentement à l’impôt.

Comment comprendre que la CSG, devenue le principal impôt sur le revenu, soit pour l’essentiel encore proportionnelle aux ressources ? Cette réforme de la CSG représenterait le premier pas vers sa réunification avec l’impôt sur le revenu au sein d’un grand impôt citoyen qu’il s’agit de refonder un siècle après sa création en juillet 1914. Ainsi, il serait bon de lui affecter, au surplus, les 2,5 milliards d’euros prévus en 2015 par le gouvernement pour une baisse de l’impôt sur le revenu des couches modestes. Ces derniers ne payent souvent pas cet impôt, alors que la plupart sont redevables de la CSG. La mobilisation de 5 milliards d’euros au total au service de la mise en œuvre d’un barème progressif permettrait de diminuer les prélèvements sur les moins favorisés sans augmenter ceux qui pèsent sur les classes moyennes.

Cette solution est bien préférable aux mesures palliatives couramment évoquées. Relancer la prime pour l’emploi, que les gouvernements successifs entendaient supprimer graduellement en la «gelant», renforcer le RSA "activité", qui ne marche pas puisque les deux-tiers des personnes éligibles ne le réclament même pas, voire fusionner les deux, en inventant une nouvelle «usine à gaz» sociale-libérale, ne constituent pas des réponses à la hauteur de ce défi. Il ne s’agit pas de faire la charité aux travailleurs pauvres et «méritants», mais de répartir de manière plus équitable les impôts, en réduisant leur poids sur les plus modestes qui en payent beaucoup trop.

Nos gouvernants se contenteront-ils de mesurettes ou seront-ils dignes des grands réformateurs de notre pays ? Loin de «refroidir les ardeurs» des partisans de la CSG progressive, la décision des Sages, en fermant la voie d’une baisse des cotisations salariales, nous conforte dans la conviction qu’elle constitue la meilleure solution pour compenser la censure de la seule disposition du «pacte de responsabilité» profitant aux salariés, alors que ce soutien à la consommation serait plus utile et urgent pour une économie au bord de la récession, voire de la déflation, que les 41 milliards d’euros accordés aux entreprises sans contrepartie réelle.

Ce texte est signé de membres du courant socialiste Maintenant la gauche :

Jérôme Guedj, président du conseil général de l’Essonne

Emmanuel Maurel, député européen

Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice

Daniel Vasseur, économiste.

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