LE 3 février PAR Liêm Hoang Ngoc
La semaine passée fut marquée en Europe par le succès de l’émission de ce que les institutions européennes évitent pour l’heure d’appeler premiers Eurobonds. Et pour cause, car la solidarité financière et la création d’un emprunt communautaire sont proscrites par le Traité de Lisbonne. Or les marchés se sont rués sur ces titres, émis à un taux relativement faible, par le Fonds Européen de Stabilité Financière pour financer les dettes souveraines des pays faisant l’objet d’attaques spéculatives. Ces titres pourraient également financer à hauteur honorable le budget communautaire pour alimenter les fonds structurels, nécessaires pour faire converger les nouveaux entrants vers les niveaux de développement des pays de l’Ouest de l’Europe. Ceci rendrait possible l’harmonisation sociale et fiscale qui demeure un vœu pieux. Si, de surcroît, la BCE déclarait au grand jour qu’elle rachètait massivement les dettes souveraines en cas de primes de risques injustifiées exigées par les marchés (comme elle a commencé à le faire en catimini sur le marché secondaire pour contourner les interdits du Traité de Lisbonne), les Etats membres de l’Union européenne disposeraient de deux armes atomiques, dissuadant les marchés de spéculer cyniquement successivement sur l’une, puis sur l’autre des dettes souveraines. Et si, par bonheur, le Conseil, la Commission, le Parlement et les Etas membre s’entendaient pour promouvoir des normes contra-cycliques de politique budgétaire dans le cadre du « paquet Gouvernance économique » (les politiques anti-cycliques consistent à autoriser la relance par l’emprunt en période de récession et à affecter les cagnottes fiscales au désendettement en plein-emploi), les voies d’une véritables sortie de crise, s’appuyant sur des budgets ambitieux et la promotion du modèle social européen seraient tracées.
Ce scénario progressiste exige, à tout le moins, des avancées décisives vers le fédéralisme budgétaire et la reprogrammation du code génétique des dirigeants en places dans les institutions européennes. Il suppose que les forces sociales et politiques à même de le soutenir soient rapidement au rendez-vous. A défaut, c’est un scénario d’enlisement qui se dessinerait. Les embryons d’Eurobonds finiront par accoucher tant bien que mal, mais leur progéniture (l’économie européenne qu’ils sont censés financer) souffrira de rachitisme aigu, compte tenu de la poudre de lait, faite d’austérité budgétaire et salariale, dont elle sera nourrie. Non seulement le Semestre européen, qui va encadrer les politiques budgétaires, durcira le pacte de stabilité en l’assortissant de sanctions quasi-automatiques et renforcera le caractère pro-cylique des politiques budgétaires (rigueur incongrue en période de récession et baisses d’impôts inutiles en période de plein-emploi). De plus, la Commission est en train de l’assortir d’un deuxième pacte de stabilité, le pacte d’austérité salariale. Au nom de la prise en compte des « déséquilibres macroéconomiques externes » à l’intérieur de l’Union, les pays dont le commerce extérieur est déficitaire sont désormais invités à ajuster leurs salaires à la baisse pour restaurer leur compétitivité. Dans ces conditions, l’Europe replongera vers la récession et les déficits persisteront, conduisant à de nouvelles mesures d’austérité, dogmatiquement imposées par les autorités européennes. Ce scénario est peu perturbant pour les marchés, rassurés de voir se développer des mécanismes de « solidarité » assurant les créanciers des Etats d’être payés. Il perdurera tant que l’ajustement par les salaires et le chômage est socialement accepté…
On ne saurait alors exclure l’éclosion d’une crise sociale et politique, à l’issue de laquelle certains pays pourraient être tentés de sortir de l’euro. Ce troisième scénario est particulièrement incertain. Il permettrait aux pays sortants de disposer d’une monnaie nationale avec taux de change leur permettant de restaurer leur compétitivité, de restructurer leur dette publique et de la monétiser par le rachat des nouvelles obligations d’Etat par leur propre banque centrale. Ses inconvénients seraient que la dette non restructurée, exprimée en euro, pourrait exploser, l’inflation importée (le prix de matières premières renchérissant) augmenter et la spéculation se déchaîner.