Le Monde.fr | 13.06.2014 à 10h11 - Par Diane Jean
Le 5 avril 2014, ils étaient une centaine de socialistes à demander une revalorisation du travail des parlementaires. Deux mois plus tard, le collectif de «l’appel des cent», auteur de propositions économiques et sociales «pour plus d’emplois et de justice sociale», se retrouve une deuxième fois dans le bureau du premier ministre. Qui sont-ils et que veulent-ils ?
- Comment tout a commencé ?
- Qui se cache derrière l'appel des cent ?
- Sont-ils vraiment cent ?
- Que veulent aujourd'hui ces parlementaires ?
- Le contre-budget des députés mécontents
- Beaucoup de bruit pour rien ?
1. Comment tout a commencé ?
Après les mauvais résultats du PS aux municipales et le remaniement du gouvernement, quatre-vingt dix élus socialistes signent une lettre le 5 avril 2014, adressée à Manuel Valls, premier ministre fraîchement nommé. Les parlementaires demandent un nouveau «contrat de majorité», exigeant une meilleure prise en considération du travail parlementaire et une coopération plus efficace de la majorité avec le gouvernement.
Ce courrier est «une démarche inédite qui répond à une situation politique sans précédent à gauche», expliquait Christian Paul, député de la Nièvre, au Monde, en avril. A la fin du même mois, Manuel Valls reçoit à Matignon une délégation de ces députés pour les convaincre du bien-fondé de son plan d’économies, autrement appelé pacte de responsabilité.
Mais les élus rebelles de la majorité ne se sont pas remis de la «déroute du PS» aux élections municipales et européennes, et souhaitent réorienter la politique budgétaire pour «aider notre pays à trouver une voie juste qui rassemble». Ils multiplient les tribunes, les tweets, les interpellations aux ministres et les références à la politique économique de Matteo Renzi, le chef du gouvernement italien, qui a choisi de relancer la croissance par des mesures de soutien au pouvoir d'achat, qui les inspirent.
Chaque vote important des derniers mois constitue l'occasion de faire entendre leurs voix. En juin, certains d’entre eux rédigent ainsi un panel de propositions à l’occasion du budget rectificatif de 2014, discuté en conseil des ministres.
2. Qui se cache derrière l’appel des CENT ?
Difficile d’y voir clair, entre ceux qui signent les courriers destinés au premier ministre, ceux qui s’abstiennent de voter dans l’hémicycle et ceux qui concourent à la formulation de nouvelles propositions économiques.
L’appel des cent constitue un groupe hétérogène, en raison d’une décomposition des courants au sein du parti au pouvoir, d’après Rémi Lefebvre, professeur en sciences politiques à l’université de Lille 2 et spécialiste du PS.
L’initiative du 5 avril 2014, paraphée par un tiers du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, a regroupé plusieurs sensibilités : des proches de Martine Aubry, de Benoît Hamon, d’Arnaud Montebourg ou encore de Laurent Fabius, ainsi que des membres de l’aile gauche traditionnelle du PS. Le 17 avril, au lendemain des annonces du premier ministre sur le plan d’économies de 50 milliards d’euros, ils reprennent la plume et précisent leur ligne directrice.
3. Que veulent aujourd’hui ces parlementaires ?
En finir avec la politique économique du «serrage de ceinture», répond Pouria Amirshahi, animateur de l’aile gauche du Parti socialiste, à l’hebdomadaire Marianne. L’appel des cent veut s'écarter du chemin de la «politique de l'offre» pris par l'exécutif. Ces députés restent persuadés que le chômage et la dette ne peuvent s’enrayer qu’en encourageant la demande et non l’offre comme le veut le gouvernement.
Démêlés politiques ne signifient pas forcément naissance d'un nouveau parti, loin de là. Ces députés contestataires souhaitent infléchir le débat. «Il n’y a pas de trajectoire ou de plan écrit à l’avance, assure M. Amirshahi. Nous n’avons pas pour objectif de créer une nouvelle organisation politique.»
Rien à voir donc avec le «club des socialistes affligés», le nouveau think tank qui regroupe des hommes et femmes politiques de la gauche radicale et des écologistes. Même si ceux-là discutent aussi une alternative à la politique de l’offre, celle qui favorise les entrepreneurs plutôt que les consommateurs.
4. Le contre-budget des députés mécontents
Le 9 juin, les contestataires lancent la plateforme de l’appel des cent. Les députés ne s’arrêtent pas là. Ils ont proposé des solutions alternatives et concrètes au budget prévu par le gouvernement et revu le 11 juin en conseil des ministres. Les voici :
- Une contribution sociale généralisée (CSG) progressive. L’objectif est de redonner du pouvoir d’achat aux ménages en modulant le taux de CSG selon les revenus. Cet impôt participe au financement de la protection sociale. Le barème deviendrait identique à celui de l’impôt sur le revenu. En 2014, le taux global de la CSG s’élève à 7,5 %. Les élus contestataires proposent qu’en 2017, le taux soit en dessous de cette valeur pour les revenus de moins de 26 000 euros.
- Conditionner les investissements du crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Cette économie d’impôt accordée aux entreprises permet en principe d’améliorer leur compétitivité. Pour M. Amirshahi, «c’est une aide qui va être distribuée aux entreprises sans aucune condition particulière». L’idée des élus protestataires est d’inviter les entreprises à réallouer un quart de ce crédit dans des projets de transports en commun ou de construction de logements. Une enveloppe estimée à 5 milliards d’euros. L’avantage de la proposition, d’après le député, c’est qu’un tel investissement aiderait à pallier la baisse des dotations prévues aux collectivités locales pour 2015-2017.
- 150 000 emplois aidés et 150 000 contrats en alternance. Les auteurs du projet attestent que, une fois leurs idées suivies, le chômage baissera d’ici à fin 2015. Les chômeurs de plus de deux ans pourraient avoir accès aux emplois d’avenir, ces contrats qui facilitent à l’origine l’insertion des jeunes peu ou pas qualifiés.
- Concentrer les baisses d’impôts des entreprises sur «celles qui en ont réellement besoin». les élus socialistes veulent davantage cibler les économies prévues pour les entreprises. Des domaines recevraient une intention particulière : l’industrie, en difficulté, et la recherche et l’innovation pour leur besoin en développement, et les «secteurs exposés à la concurrence internationale».
5. Sont-ils vraiment CENT ?
Quatre-vingt-dix parlementaires ont signé les premiers courriers des 5 et 17 avril. Seuls 41 se sont abstenus de voter le plan d’économies de Manuel Valls à la fin du mois, et une vingtaine ont contribué au lancement de la plateforme du contre-budget mi-mai. A la fin du rapport, on peut lire «un travail approfondi associant une centaine de parlementaires et de nombreuses consultations». Bref, le «cent» de l'appel ressemble à un chiffre arrondi au supérieur.
Six des «cent» ont été reçus par Manuel Valls le 11 juin au soir, dont Laurent Baumel, député d’Indre-et-Loire, issu de la Gauche populaire, et Christian Paul, élu de Nièvre et proche de Martine Aubry, qui font partie des initiateurs de l’appel. Arnaud Leroy et Pouria Amirshahi, tous deux représentants des Français de l’étranger, Jérôme Guedj (Essonne), Jean-Marc Germain (Hauts-de-Seine) étaient également de la rencontre. Tous font partie du noyau dur.
6. Beaucoup de bruit pour rien ?
Il y a donc eu deux rencontres entre entre ces élus contestataires et le Premier ministre en deux mois. Mais le ministre des finances, Michel Sapin, a promis aux représentants des patrons des PME de tenir bon sur le pacte de responsabilité.
«Le groupe socialiste va bientôt prendre une position commune. Une fois que celle-ci aura été définie, ceux qui voudront quand même déposer des amendements feront un choix contraire à celui du groupe. Il faudra alors que chacun prenne ses responsabilités», a prévenu Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement.
Renouveau idéologique ou simple cri de colère ? «Cette démarche est originale dans la mesure où elle constitue une espèce de lobbying interne de forme parlementaire qui échappe à la logique traditionnelle des courants du PS», estime le politologue Rémi Lefebvre au Monde.fr.
«Une partie des députés se rendent aujourd'hui compte que le désastre électoral des municipales et européennes risque de les emporter dans trois ans.», estime le politologue, qui juge l’initiative encore «composite» et «fragile». Pour lui, il peut s’agir d’un calcul. «Avec la fin du cumul, ces députés n'ont plus que ce mandat électoral, et ils le savent menacé. Ils sont donc très sensibles à la question de leur possible réélection, car n'ont plus rien à perdre», ajoute-t-il.