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Emmanuel Maurel en commission Commerce international réagissant à la présentation du rapport Keller
Ces dernières semaines, j’ai œuvré au suivi du rapport de ma collègue verte Ska Keller sur le rôle de l’Union européenne dans le cadre des Nations Unies. En tant que responsable du groupe des socialistes européens sur ce dossier, j’ai pu largement influencer le texte final du rapport, qui a été voté ce mardi en commission du Commerce international. Considérant que la politique commerciale de l’Union européenne ne doit pas uniquement répondre à des motivations économiques, mais qu’elle doit aussi faciliter la réalisation des engagements pris à l’échelle de l’ONU, j’ai fait en sorte que le rapport Keller intègre plusieurs de mes réflexions.
L’Union européenne est la principale alliée des Nations Unies: elle considère – à juste titre – l’ONU comme le forum le plus à même de répondre aux défis globaux auxquels notre planète est confrontée : changement climatique, flux migratoires, pandémies, paradis fiscaux… Trop souvent, cependant, son action extérieure et sa politique commerciale ne sont pas en adéquation avec les objectifs dont elle se réclame. C’est, par exemple, la raison pour laquelle j’ai déposé des amendements destinés à rappeler à la Commission européenne l’impératif de «décarbonisation» de notre économie, difficilement compatible avec sa politique de multiplication des méga-accords commerciaux, qui plus est à quelques mois de la COP21 de Paris.
De même, aux côtés de mes collègues de gauche (socialistes, verts, gauche «radicale»), je me suis employé à faire voter des amendements de nature à replacer la notion de «juste échange» au cœur de la politique commerciale de l’UE. Les accords commerciaux de l’UE ne doivent pas contribuer au pillage des pays les moins développés. Au contraire, ils doivent servir à contribuer à leur développement, à lutter contre la pauvreté, et à améliorer l’accès à la santé des populations. A cet égard, je me satisfais que mes collègues parlementaires aient voté mon amendement qui appelle à la mise en place d’une taxe sur les transactions financières qui puisse, en partie, être reversée aux pays les moins avancés. Il est également rassurant que, même s’il ne s’agit que d’une résolution, la majorité des parlementaires semble décidée à aller plus loin pour s’assurer que les entreprises européennes installées dans les pays du sud (Afrique et Asie notamment) ne se rendent coupables d’aucune violation des droits de l’homme.
Malheureusement, la mobilisation de mes collègues en matière de protection sociale des travailleurs laisse à désirer. Alors que j’avais déposé plusieurs amendements destinés à promouvoir la notion de «travail décent» développée par l’Organisation internationale du travail (OIT) dans les accords commerciaux signés par l’UE avec des pays en développement, les parlementaires conservateurs se sont coalisés pour faire échouer ce vote. Une preuve supplémentaire, s’il en fallait, de l’hypocrisie de la droite européenne qui, ses larmes de crocodile à peine séchées sur la question des migrants, refuse d’assumer ses responsabilités en matière d’aide au développement économique et social des pays du sud.
Emmanuel Maurel, le 22 septembre 2015, en commission au Parlement européen
Hier matin, en commission Commerce international du Parlement européen, Emmanuel Maurel s'est exprimé sur les négociations que mène actuellement l’Union européenne avec 23 autres pays sur un grand Accord sur le commerce des services (ACS – TiSA en anglais).
Voici le texte de son intervention en commission du Commerce international sur l’accord TiSA :
« Merci monsieur le Président,
Incontestablement, nous sommes en présence d’une négociation qui soulève bien des questions. Plus encore que le TTIP – et même s’il est moins visible dans l’opinion – l’accord TiSA génère des risques multiples. Il suppose de notre part une très grande vigilance.
De ce point de vue, madame la rapporteur, vous avez raison de vouloir faire entendre la voix du Parlement européen dans le cadre de cette négociation. Il est essentiel que le Parlement s’exprime à nouveau sur ce texte, qui continue de se négocier dans le dos de nos concitoyens. En effet, en termes de transparence, nous sommes sur un procédé qui est désastreux. Je comprends ainsi qu’il puisse y avoir une forte circonspection dans l’opinion.
Malgré tout, même si l’on parvient à une plus grande transparence, cela ne suffira pas à tarir la méfiance de la société civile. Cela a déjà été dit, mais ce n’est pas seulement l’opacité des négociations qui a conduit des pays comme l’Uruguay à se retirer des discussions. La réalité, c’est que les citoyens attendent de nous que nous soyons en capacité de tracer des lignes rouges très claires sur ce que doit contenir le TiSA, et sur ce qu’il ne doit pas contenir.
À cette fin, je pense qu’il est nécessaire de travailler pour élargir le filet de sécurité qui contribuera à protéger les citoyens européens. Par exemple, les services publics, le droit des états à légiférer, ce n’est pas à vendre. C’est le principe de base qui doit commencer notre réflexion. Pour s’en assurer, il faut absolument que nous recourions à des listes positives, pour ne pas qu’il y ait d’ambiguïté sur les services qui seront libéralisables ou non. De la même façon, je pense que les clauses dites de « statu quo » et de « cliquet » sont la boîte de Pandore qu’il ne faut pas ouvrir, car elles comportent des risques, notamment en matière démocratique, qui seraient impossibles à surmonter.
J’insiste également sur deux points qui sont absents du document de travail mais qui sont essentiels. Le premier, c’est que TiSA ne sera pas un bon accord s’il sacrifie tous les progrès effectués ces dernières années – et encore en cours de réalisation – sur la régulation des services financiers. Ensuite, étant donné que nous évoquons la libéralisation des services de la construction et des transports, il faut être conscient des risques que cela pourrait comporter en matière de dumping social.
Tout le monde ici évoque le pragmatisme. À mes yeux, le pragmatisme consiste à bien comprendre que ce n’est pas parce que l’on va abaisser les normes, que l’on va avoir des gains de croissance. Je suis plutôt persuadé du contraire. S’il y a un message que le groupe S&D voudra faire passer dans cette négociation, c’est bien que poser des règles, ce n’est pas seulement protecteur, mais c’est aussi économiquement et socialement juste. »
Une majorité qui se bouge pour l'école primaire...?
En 2008, la droite assassine l'école primaire, en supprimant les cours le samedi matin, dans l'indifférence générale... Avec 7 h de cours/jours et une coupure dans la semaine, les enfants sont exténués et désynchronisés. Les plus fragiles, comme toujours, paient le prix fort (cf. tribune juillet 2014). En 2013, la réforme des rythmes scolaires rétablit une demi-journée d'école et allège chaque journée de 45 minutes d’apprentissage. Avec retard, la majorité municipale relève le défi avec un Projet Educatif Territorial, des activités périscolaires gratuites et fait unique dans le Val d'oise : accès à la cantine le mercredi midi y compris pour les enfants qui ne vont pas au centre aéré. D'ailleurs, face à nos critiques sur l'absence totale de vision politique lors du vote du budget, la seule réponse de la majorité fut : « et la cantine le mercredi midi c'est pas une vision politique cela ? »
… puis qui fait volte-face sans concertation
La majorité municipale qui ne cesse de se vanter de mettre l’humain au cœur de ses décisions, en toute transparence, vient, une fois de plus, de prendre une décision sans l’ombre d’une concertation. Ainsi, dans le mensuel du mois de juin, les familles apprennent que l’accès à la cantine le mercredi midi sera interdit à ceux qui ne vont pas au centre aéré. Pour les familles qui avaient fait le choix de re-travailler le mercredi matin, il faudra dire à l'employeur : « le 1erseptembre, le mercredi j'arrive à 9h et je repars à 10h30 car je vais chercher mon enfant à 11h30 » : quel respect pour l'entreprise de la part d'une liste de droite !
Un choix néfaste socialement, inefficace financièrement et qui annonce le pire
Des contraintes budgétaires dicteraient le choix de cette majorité au pouvoir depuis… toujours. Il est vrai que depuis 5 ans, les dépenses de fonctionnement de cette mairie explosent : de 22 millions en 2010 à 26 millions en 2014 et surtout 1,5 million d'euros d'augmentation en 2014 ! Face au péril, la mairieemprunte 10 millions d'euros les deux prochaines années et tente d'en économiser 157 000 le mercredi midi. Ce renoncement laisse présager la fin des rythmes scolaires : tout d'abord les activités périscolaires payantes et concentrées le vendredi après-midi (comme prévu en mai 2014) puis leur disparition. Enfin, en 2020… la suppression de l'école le mercredi matin et le retour d'une politique productrice d'inégalités sociales dès l’école.
Fabrice Rizzoli
conseiller municipal socialiste de Deuil-la-Barre
Mediapart.fr - 21 SEPTEMBRE 2015 | PAR PAUL ALLIÈS, membre du Conseil National du Parti Socialiste
Samedi 19 septembre se réunissait le Conseil National du Parti socialiste, autrement dit son parlement. Ce fut aussi le jour où le Premier secrétaire annonça la tenue d’un «référendum» pour exiger l’union de la gauche aux élections régionales. Or le parlement n’a pas débattu un seul instant de cette proposition.
Le Conseil national (CN) est ce qui reste de démocratique au sommet du PS : c’est l’assemblée où sont représentées toutes les opinions du parti à la proportionnelle des suffrages que leurs motions ont obtenus au congrès national (204 membres plus les Premiers secrétaires fédéraux). Selon les statuts, «entre deux congrès, la direction du parti est assurée par son conseil national» (art. 2.6.1.1.). Il y a belle lurette que ce rôle a connu de fortes distorsions au profit du Bureau mais aussi du Secrétariat national. Le rythme des convocations du CN est un signe du plus ou moins respect du principe énoncé. Depuis sa nomination en avril 2014, Jean-Christophe Cambadélis a semblé revenir à la lettre des statuts (art. 2.6.4) qui demandent au Premier secrétaire d’«assurer le fonctionnement régulier des instances politiques et administratives du parti». Il a réuni le CN plus qu’auparavant (tout en le fermant aux journalistes). C’est dans ce contexte que la séance de ce samedi marque un tournant : le CN est devenu un simple chambre d’écho à des initiatives décidées totalement en dehors de lui. On l’utilise pour donner l’illusion médiatique d’une décision collective. On passe de la démocratie représentative à la communication politique.
Rappel des faits : Le vendredi après-midi, veille de la réunion du CN, Jean-Christophe Cambadélis transmet aux représentants des motions (?) un projet de résolution (où il n'est pas question de référendum) devant être soumis au vote du CN. Le samedi, il n’en est plus question. Le débat sur les élections régionales est l’occasion d’une théâtralisation, inhabituellement agressive, des porte-parole de la majorité. La scène est ouverte par Alain Bergougnoux traquant les Jules Guesde masqués (à la gauche du parti ?) dans la question des réfugiés (réplique de l’affaire Dreyfus) ; il fut relayé par un Henri Weber à la recherche de corrélations improbables entre réforme de l’Etat social et radicalisations des gauches en Europe (pour mieux relativiser ce phénomène) ; Christophe Borgel expliqua que l’intérêt des micro-appareils empêchaient, comme toujours, l’union des gauches pour les régionales (plutôt que la déception devant la politique gouvernementale) ; enfin Julien Dray, couvrant les décibels de la techno-parade défilant tout près de la Mutualité, appela à la mobilisation de la base contre la rigidité des appareils, comme dans les années 1980.
Puis, Jean-Christophe Cambadélis vint. Il fit d’abord litière de l’analyse de l’opposition (exprimée entre autres par Christian Paul) pour laquelle «le basculement opéré pendant ce quinquennat vers une politique d’inspiration sociale-libérale, tournant le dos aux engagements de la campagne de 2012, aggrave les fractures profondes au sein de la gauche française, et entre la gauche de gouvernement et son électorat.» . Voilà en effet bien posé le problème des obstacles à l’union. Le Premier secrétaire se contente d’opposer à ce diagnostic les propos de Pierre Laurent,secrétaire national du PCF (dans Le Monde du 18 septembre) qu’il cite mot pour mot : «A chaque fois qu’il est possible de prendre place dans un exécutif pour faire progresser les politiques publiques, je suis pour.» Preuve que même les communistes ne font pas de la question de la politique gouvernementale un préalable à des accords avec les socialistes. Du même coup, la demande de l’opposition de voir le texte de Jean-Marc Germain adopté à la quasi-unanimité du Bureau national le 27 juillet dernier demandant la réorientation d’une partie du Pacte de responsabilité vers les ménages et les collectivités locales ne sera pas débattue. Les «frondeurs» ne sont que «des minoritaires». Et Cambadélis de conclure par l’annonce du référendum. Celui-ci ne fait l’objet ni de la moindre explication politique, ni du moindre mode d’emploi (deux tweets et une réponse à la conférence de presse qui suit le CN donneront les premières indications), ni du moindre échange avec l’assemblée, ni du moindre vote. A l’évidence, l’annoncein extremisdu référendum (faite au Monde avant de l'être au CN) servait à esquiver une foule de questions restées sans réponses : sur les déclarations de Macron, la ligne de l’Exécutif, la préparation du budget 2016, les problèmes internes dans la préparation des Régionales (dont les problèmes avec le PRG mais pas seulement).
Demeure donc le tournant pris concernant la vie démocratique dans le PS. Son parlement rejoint le statut de celui de la V° République, en pire (il continue à se réunir à huis clos). Son assujettissement à la stratégie de communication de la direction est un pas de plus dans la réduction du pluralisme dans ce parti. C’est peut-être même l’entrée dans le digital storytelling, ce récit formaté qui remplace le raisonnement rationnel. Christian Salmon l’avait analysé, il y a une décennie («Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits». La Découverte.) comme une arme des gourous du marketing pour mieux conditionner les citoyens. Dans la perspective de la campagne du "candidat par défaut" en 2017, Jean-Christophe Cambadélis vient d’y ajouter un nouveau chapitre sur l’art et la manière d’anesthésier la démocratie militante et délibérative.
(Texte collectif de la motion B en contribution au débat du conseil national du PS du 19 septembre 2015)
La récente lettre de Jean-Christophe Cambadélis «à la gauche et aux écologistes» a un mérite : elle interpelle l’ensemble de la gauche sur un processus d’émiettement lourd de conséquences. Elle décrit l’orage qui arrive.
On pourrait y voir une figure imposée du discours politique. Les défaites se sont accumulées, d’autres s’annoncent. L’injonction à resserrer les rangs vient naturellement… Nous prenons le sujet comme il doit l’être : au sérieux, pas simplement comme une tentative désespérée à la veille des élections régionales.
Il n’y a pour aucun parti à gauche de salut solitaire. Il n’y a pas non plus vers le centre de majorité de rechange. Enfin il (re)devient clair que le rassemblement de la gauche est indispensable pour retrouver les chemins de la confiance et de la victoire. Débattre de ses conditions est autrement plus urgent que de décider, seul, prématurément, de l’abandon de la stratégie de « front républicain », face au risque de voir le Front National s’emparer de plusieurs régions.
Mais si la dispersion peut en effet conduire à la disparition, la dispersion a aussi ses raisons que le Parti socialiste ne peut plus feindre d’ignorer ou de minimiser. La déception crée la dispersion.
On doit bien sûr regretter que des élus qui ont travaillé ensemble à la tête de collectivités locales ne fassent pas le choix de défendre ensemble devant les électeurs leurs bilans honorables, ou s’enferment dans un sectarisme dangereux pour la gauche toute entière. Plus grave, les dernières élections locales l’ont démontré sans fard : la déception nationale balaie les beaux bilans de proximité. On ne peut plus nier que le basculement opéré pendant ce quinquennat vers une politique d’inspiration sociale-libérale, tournant le dos aux engagements de la campagne de 2012, aggravent les fractures profondesqui se sont creusées au sein de la gauche française, et entre la gauche de gouvernement et son électorat.
Réduire ces débats sur la politique gouvernementale à des désaccords techniques et secondaires, ou les subordonner au combat commun sur les «valeurs» que la gauche doit mener face à la droite et l’extrême-droite, c’est passer à côté des conditions essentielles du rassemblement. Et probablement, se condamner à perdre aussi la bataille culturelle, car si le parti au pouvoir doit mener la bataille des idées, il est aussi jugé sur ses actes.
Personne ne nie aujourd’hui l’ampleur historique des problèmes posés par la réémergence du fondamentalisme religieux, par les désordres géopolitiques, par les grandes migrations et les nationalismes xénophobes. Mais ces enjeux sont inséparables de l’aggravation des inégalités, et d’abord des inégalités sociales. Au nom du présent, comme de l’histoire politique et intellectuelle de la gauche, il n’est pas concevable de renoncer à faire de la justice sociale le fondement principal de notre engagement. L’idée selon laquelle la question des valeurs constitue le clivage central de la vie politique française ne résiste d’ailleurs pas à l’analyse : la majorité des couches populaires et moyennes partage cette conviction que la politique de la gauche au pouvoir ne contribue pas à améliorer leurs conditions de vie et à résoudre leurs problèmes essentiels. C’est la raison principale des défaites récurrentes subies depuis mars 2014.
Ajoutons qu’une offre de dialogue ne saurait être un ultimatum entre soumission ou marginalisation. Ceci vaut pour les partenaires du parti socialiste comme en son sein.
Disons-le sans détour : la confiance – gravement sapée aujourd’hui par l’exercice du pouvoir sur le mode autoritaire et par la discipline imposée sans débat à la majorité- ne pourra être véritablement rétablie sans que s’opère en préalable, à l’occasion du budget 2016, une réelle inflexion de la politique économique et sociale du gouvernement. Les propositions adoptées presqu’unanimement par le Bureau national du PS en juillet dernier constitue la base de travail opératoire d’une négociation utile avec le gouvernement et nos partenaires de gauche : redonner du pouvoir d’achat aux classes populaires en amorçant une vraie réforme de justice fiscale, relancer l’investissement des collectivités publiques, soutenir mieux les entreprises qui investissent et qui embauchent.
Si cette étape était franchie, il deviendrait possible, à nouveau possible, de reprendre le chemin du rassemblement des forces de gauche pour reconstruire un projet politique commun à vocation majoritaire, offrant aux Français une réponse crédible aux grands défis économiques, sociaux, écologiques, et européens de la période. Il deviendrait même à nouveau possible, pour incarner ce mouvement, de discuter d’un processus de primaires de tous les progressistes pour la présidentielle.
Il n’y a pas de raccourci : tout autre chemin faisant diversion, toute tentation d’acheter «à la découpe» telle ou telle formation de la gauche seront – à juste titre - perçus comme des leurres et n’engendreront pas la dynamique attendue, face au «bloc réactionnaire» qui se consolide. Le pire est sûr : la crainte du Front national ne suffit plus à rassembler la gauche.
Oui, le PS doit se dépasser. Oui, il peut contribuer de façon majeure à la refonte d’un projet progressiste et majoritaire. Mais il doit pour cela sortir de sa torpeur et de sa passivité, retrouver son indépendance, renouer avec ses fondamentaux, rompre avec le conformisme libéral pour prendre à bras le corps les nouveaux défis. Il doit aussi se redonner une exigence démocratique, pas pour lui seul, pas dans le huis-clos dans lequel il s’est à nouveau enfermé. Mais pour rendre possible l’engagement du peuple de gauche, de syndicalistes, de militants associatifs, d’intellectuels ou d’artistes, et d’abord la participation de citoyens motivés, qui ne viendront pas au secours d’un appareil muré dans ses certitudes. Cette «grande gauche» n’a pas disparu, elle attend une offre crédible.
Notre première tâche sera donc de défendre sans relâche au cours des semaines qui viennent les orientations de politiques économiques et budgétaires qui nous ont réunis au cours des derniers mois. C’est un nouveau test en grandeur réelle du respect des engagements pris, et de l’utilité de notre parti quand le suffrage des citoyens lui confie l’exercice du pouvoir.
Après plus d’une année de mandat, j’ai souhaité à travers ce compte rendu vous donner un aperçu de mon travail au sein du Parlement au cours d’une législature animée par des débats déterminants pour l’avenir de l’UE. Les évènements récents, de la crise des migrants en Méditerranée à la situation de la Grèce, en passant par les négociations du traité de libre-échange transatlantique, nous rappellent à quel point les enjeux européens actuels requièrent notre vigilance et notre engagement. C’est un combat quotidien que je m’efforce de mener en tant que parlementaire.
Sur la forme comme sur le fond, la victoire de Jeremy Corbyn à la tête du parti travailliste britannique prend les socialistes français à rebours. C’est le miroir inversé des années Jospin, quand le PS était hostile à la troisième voie de Tony Blair et Gerhard Schröder.
Il est le nouveau héros de la gauche radicale qui en manque tant. Depuis sa victoire à la tête du Labour, Jeremy Corbyn enthousiasme de la gauche du PS au Front de gauche, en passant par les écologistes. À la fête de l’Humanité, chaque fois qu’il a été prononcé, son nom a été vivement applaudi. « La roue de l’Histoire commence à tourner », s’est félicité Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF. Guest star du week-end dernier à La Courneuve, le Grec Yanis Varoufakis s’est fait lyrique : « Corbyn est une étincelle d’espoir, une petite bougie dans l’obscurité de l’austérité. » Et face à l’auditoire surchauffé de son meeting « Pour un plan B en Europe », Jean-Luc Mélenchon a lancé :« Vous avez raison d’applaudir Corbyn. À chaque fois qu’une hirondelle se présente, il faut croire qu’elle annonce le printemps. » Sur Twitter, Alexis Tsipras (Syriza) et Pablo Iglesias (Podemos) l’ont également chaudement félicité pour son élection.
À cela rien de surprenant. Antithèse de Tony Blair, Corbyn incarne l’aile gauche du Labour, anti-austérité, qui défend les services publics, propose de taxer les riches, s’oppose à la guerre, prône l’abandon de l’arme nucléaire et la sortie de l’Otan. Il a été élu avec un score sans appel, 59,5 % des voix dès le premier tour, au terme d’un scrutin qui a rassemblé plus de 600 000 votants (c’était 70 000 pour la désignation de Jean-Christophe Cambadélis à la tête du PS !). Au lendemain de sa victoire, ce sont plus de 14 000 nouvelles adhésions en 24 heures qui ont été enregistrées par le parti travailliste britannique.
Son homologue français, rue de Solférino, est bien embêté. Lundi, le bureau national a rapidement débattu en fin de réunion du sacre de Corbyn : l’aile gauche est ravie mais la majorité acquise à Hollande et Valls est nettement plus circonspecte, voire carrément hostile.
Officiellement, le PS a évidemment salué l’élection de Corbyn à la tête du Labour. Sous la plume de son secrétaire national à l’Europe, le député Philip Cordery, il se félicite d’un« exercice démocratique exemplaire » qui « permet aux travaillistes de se reconstruire pour proposer une alternative de gauche claire en Grande-Bretagne ». Mais à Paris, Corbyn est un parfait inconnu. « Les socialistes français forment le vœu qu'avec cette nouvelle équipe, les relations entre le Labour et le PS qui s'étaient renforcées sous l'ère d'Ed Miliband, continuent de s'approfondir afin de fortifier la social-démocratie européenne », conclut prudemment le parti socialiste.
Surtout, sur la forme, une primaire ouverte aux sympathisants, comme sur le fond, le virage à gauche, la victoire surprise de Corbyn prend le PS totalement à contre-pied. La situation est pour le moins ironique : la dernière fois que la gauche était au pouvoir, c’était entre 1997 et 2002, à l’époque de la gauche plurielle de Lionel Jospin. Ce dernier se posait en garant de la tradition socialiste et s’opposait à ses camarades allemands et britanniques, théoriciens de la fameuse « troisième voie », celle de Gerhard Schröder et de Tony Blair. Près de vingt ans plus tard, de retour au pouvoir, le PS n’a fait que glisser vers ce qu’il rejetait jadis (lire notre analyse).
À plusieurs reprises depuis 2012, François Hollande a salué les mesures de l’ancien chancelier allemand ; son « pacte de responsabilité » consacre le discours sur le coût du travail comme levier principal de la compétitivité française ; Manuel Valls a lancé « j’aime l’entreprise » au Medef, n’a que le mot de « modernité » à la bouche et a repris le concept de « pré-distribution » cher aux héritiers de Tony Blair ; son ministre de l’économie Emmanuel Macron a souvent dénoncé la théorisation de la conflictualité sociale de la gauche française.
Observateur privilégié des années Blair – il était conseiller ministériel sous Jospin –, le député PS Laurent Baumel, aujourd’hui animateur des « frondeurs » de l’Assemblée, est consterné : « À l’époque du blairisme triomphant, c’est le PS français qui portait la confrontation idéologique face à la troisième voie. Quinze ans plus tard, c’est le gouvernement français qui semble se mettre dans les pas du blairisme. Valls a adopté la même phraséologie et son positionnement est proche, le fondement théorique en moins… C’est un mouvement de bascule historique. »« La victoire de Corbyn devrait nous instruire, soutient aussi le député européen Emmanuel Maurel, dirigeant de l’aile gauche du PS. Aujourd’hui, Valls s’inspire clairement de Blair, à la fois sur le mode de communication en parlant de “s’émanciper des dogmes” ou de “briser les tabous” et sur le fond. Comme Blair, il a une vision autoritaire de la société et plaide pour plus de dérégulation et de flexibilité. »
« Autant sous Jospin, le PS pouvait faire figure de village gaulois, autant, cette fois, le PS est dans le bain dominant… En Allemagne, en Suède, en Autriche, en Italie, les partis restent alignés sur la ligne austérité/réformes structurelles de Bruxelles… Aujourd’hui, dans la famille social-démocrate, le Labour est bien seul », rappelle Fabien Escalona, enseignant à Sciences-Po Grenoble et spécialiste de la social-démocratie en Europe.
Pour les socialistes critiques, dont l’horizon politique est largement bouché, l’élection de Corbyn offre une bouffée d’oxygène. Et un peu de réconfort. « En fait, ça fait du bien d’entendre des mecs dire des trucs de gauche… On en est là, soupire l’eurodéputé Emmanuel Maurel. Nos leaders sociaux-démocrates sont tellement dans la triangulation qu’ils en oublient de dire des choses de gauche… Alors Corbyn, c’est positif. Et par les temps qui courent, on s’accroche aux signes positifs. »
Mélenchon ne dit pas autre chose : à la fête de l’Humanité, devant la presse, il a raconté sa dernière entrevue avec le nouveau leader du Labour. « La dernière fois que je l’ai rencontré en 2013, il était complètement dépressif. Il disait : “Il n’y a plus de gauche, je ne sais pas où tu trouves l’énergie”, “Tout ce qu’on a fait n’a servi à rien”, “On est vieux”… Bref, honnêtement, il m’a gonflé. Alors je me suis emporté et lui ai dit : “Notre âge et notre vie sont la garantie de notre liberté.” Et maintenant, il est à la tête du Labour… » Avant d’ajouter, prudent : « On voit bien tous que tout le monde est en danger, et que les points de résistance sont très peu nombreux. Les gens sont moins bloqués aujourd’hui. Podemos discute avec Piketty, moi-même j’échange avec Montebourg. L’élection de Corbyn est un nouveau point de résistance, et bien sûr qu’il va falloir discuter avec lui. Bon, on va attendre qu’il atterrisse avant… »
« Corbyn est un dinosaure archaïque »
Henri Weber pense tout le contraire. Ancien député européen, bon connaisseur des gauches européennes et conseiller de Cambadélis, il est consterné par la victoire de Corbyn. « Je comprends cet événement : la Grande-Bretagne subit une vraie politique de réaction au libéralisme conservateur qui exaspère la jeunesse et le salariat. C’est une réaction saine d’autodéfense », explique-t-il. Sauf qu’il « la déplore ». « Corbyn propose de sortir du blairisme mais par la mauvaise porte, par la porte arrière, insiste Weber. C’est la ligne politique des années 1970, celle qui a mené la Grande-Bretagne dans un déclin profond et le Labour dans une opposition de 15 ans. » Il fait notamment référence à Tony Benn, figure de la gauche du parti travailliste, et aux défaites systématiques du Labour de 1979 à 1994. « Corbyn est un dinosaure archaïque », juge aussi un ministre du gouvernement, sous couvert d’anonymat.
Mais comme le PS est un drôle de parti, tous les partisans de la politique de François Hollande ne sont pas aussi critiques. C’est par exemple le cas de la sénatrice des Français de l’étranger Hélène Conway-Mouret, ancienne secrétaire d’État de Jean-Marc Ayrault et élue d’Europe du Nord. « J’aurais pu voter Corbyn, dit-elle. Parce qu’il fait un vrai travail de terrain, qu’il est fidèle depuis 40 ans à ses idées et qu’il représente l’idée que je me fais de la gauche. Et puis c’est bien qu’il y ait un virage à gauche face à la politique ultralibérale des conservateurs. » Elle analyse sa victoire comme la volonté des travaillistes de renouer avec le Old Labour : « Les nostalgiques de l’avant-Thatcher ont transmis cette réalité britannique qui existait, qui pouvait exister, avec des syndicats forts, des services publics de qualité assurant une meilleure qualité de vie pour les classes populaires. »
Thomas Godard a la double casquette : militant socialiste, soutien de François Hollande depuis 2009 (quand ils n’étaient qu’une poignée à croire en ses chances), résident en Angleterre et électeur à la primaire du Labour, il a voté Corbyn. « À part sur la politique étrangère, ce qu’il demande n’est pas très différent de ce que demande le PS. Il n’a rien d’un dangereux bolchévique qui veut tuer ses enfants ! », explique-t-il. Il raconte la lassitude des travaillistes sur leur parti, dont les positions sont jugées trop proches des conservateurs, le « besoin de renouvellement du discours politique et médiatique dominant », la « crise de la représentation démocratique », les députés sortis d’Oxford et de Cambridge qui se ressemblent trop, la dérégulation brutale de la société,l’image désastreuse de Blair, la faiblesse des concurrents de Corbyn.
Mais pour lui, pas de doute : aucune comparaison n’est possible entre le contexte britannique et celui de la présidence Hollande. « 60 000 postes de profs en plus sur 5 ans, cela ferait bien rire Tony Blair ! On est à mille lieues de sa politique », juge Thomas Godard. Un avis partagé par Henri Weber : « En Grande-Bretagne, il y a eu une vraie politique d’austérité, contrairement à la France où l'on fait du sérieux budgétaire. Ils ont supprimé 500000 postes de fonctionnaires en quatre ans. Nous, on a gelé le point d’indice, c’est tout ! »
Plus mesurée, Hélène Conway-Mouret reprend l’argument souvent entendu chez les militants socialistes des contraintes du pouvoir : « Le PS est au pouvoir, c’est toute la différence avec Corbyn. Le PS doit assumer, avec des caisses vides, et il essaie de naviguer pour ne pas appliquer la politique d’austérité imposée ailleurs en Europe. Mais pour faire du social, il faut en avoir les moyens. Au pouvoir, on ne peut pas forcément faire tout ce qu’on veut. »
Et promis juré, les éléphants du PS ne risquent pas de subir le même sort que les vieux ou nouveaux blairistes du Labour. Ils ne croient pas à un « besoin de gauche » en France. Même pas à une « envie », comme le dit le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone. « Nous, comme on n’a pas appliqué les mêmes politiques libérales qu’en Espagne, en Grèce ou en Grande-Bretagne, on devrait être préservés. Et puis la France a une structure d’État qui limite les grands mouvements de société… », veut aussi croire un ministre, à l’abri du off. La Ve République est toujours ce verrou rassurant des élites au pouvoir.
Elles sont bien aidées par le reste de la gauche française, en mal d’unité. L’hypothèse d’une primaire pour 2017 semble plus que douteuse, et même celle d’un vote pour un candidat de « l’autre gauche » reste minoritaire. « C’est tout le paradoxe de la période qui s’explique par les institutions », juge le député Laurent Baumel. En réalité, défend le chercheur Fabien Escalona (lire ses articles pour Mediapart ici), « la victoire de Corbyn fait forcément réfléchir le PS qui s’est coupé de sa base et de sa jeunesse. Mais elle interpelle aussi la gauche alternative où personne, ou presque, ne veut mettre en place une primaire pour 2017 ».
Naufrages à répétition en Méditerranée, construction de barbelés et drames morbides en plein cœur de l’Europe… Ces derniers mois, les dirigeants européens n’ont eu de cesse d’afficher leur impuissance à faire face aux flux migratoires dirigés vers notre continent. En mai dernier, leur incapacité à s’accorder sur un mécanisme contraignant de répartition de 40 000 demandeurs d’asile a frôlé l’absurde: comment un continent de 500 millions d’habitants, premier ensemble économique mondial, pouvait-il échouer de la sorte, laissant des pays comme la Grèce ou l’Italie prendre en charge l’ensemble de ces populations ?
Pendant de longs mois, au fur et à mesure que la situation s’est détériorée, l’impératif de solidarité s’est fait de plus en plus urgent, jusqu’à la prise de conscience, très récente, de la plupart des gouvernements européens. S’il semble que l’Europe s’engage enfin sur la voie d’une réponse solidaire, il faut désormais tout faire pour qu’il ne s’agisse pas en réalité, une fois l’émotion retombée, d’une énième occasion manquée. Parce que pour être efficace, la politique migratoire européenne doit surtout s’inscrire dans la durée.
Il fallait une réponse solidaire car il est anormal que dans le contexte de crise mondiale de l’asile, l’Europe, souvent au mépris des conventions internationales, soit le continent accueillant le plus petit nombre de demandeurs de réfugiés. Les pays en développement, frontaliers des zones de conflit, comme la Jordanie ou le Liban s’efforcent de recevoir dignement des centaines de milliers de personnes, le tout sans les moyens financiers et logistiques dont dispose l’Europe.
Dans ce contexte, il était nécessaire de faire preuve d’honnêteté. Force est de constater que le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a montré une détermination politique bienvenue en proposant des mesures de bon sens, parmi lesquelles la relocalisation obligatoire et urgente de 160 000 demandeurs d’asile à travers l’Europe, dont 24 000 en France. Gageons désormais que l’introduction de ce mécanisme de répartition, s’il est accepté par tous les chefs de gouvernement, signe à la fois la naissance d’une véritable politique européenne d’asile commune et l’acte de décès du funeste règlement de Dublin, qui soumet États situés aux frontières externes de l’Europe à une contribution disproportionnée.
Il faut maintenant une réponse durable car il serait illusoire de penser que l’introduction d’un système d’asile européen résoudra tous les problèmes. C’est pourquoi j’accueille avec une certaine circonspection le projet de mise en place de centres de tri (“hotspots”) dans les pays d’arrivée des demandeurs d’asile, destinés à établir une distinction entre potentiels réfugiés politiques et migrants économiques. Le renvoi systématique de ces derniers ne constitue pas une solution viable sur le long terme. C’est la raison pour laquelle je suis favorable, comme l’a proposé à juste titre M. Juncker, à un élargissement des voies d’accès légales à l’Europe qui désinciterait les candidats à l’immigration à emprunter des routes, terrestres et maritimes, souvent mortelles (en 2015, près d’un migrant sur vingt a trouvé la mort en traversant la Méditerranée). En parallèle, ayons le courage d’affirmer que le solde de l’immigration est positif pour nos économies et nos sociétés !
Enfin, il s’agit de tirer les leçons du passé et de préparer l’avenir de manière globale: nous ne pouvons pas vivre dans un monde de routes migratoires en perpétuelle activité, dans une géographie d’exode. Notre priorité doit être de défendre une politique étrangère plus robuste, qui participe à la recherche systématique de la paix et non à la déstructuration des États. Nous devons assumer notre rôle en matière d’aide au développement des pays de départ, et participer activement à la lutte contre le changement climatique, qui risque d’engendrer des déplacements de population d’une ampleur inégalée.
La construction européenne n’a de sens que si elle permet à l’Union de répondre à ce type de défis, globaux, qu’aucun de ses États membres ne pourrait régler de manière isolée. Plus qu’une question humanitaire, l’actuelle crise des réfugiés interroge notre conception de l’Europe comme espace de solidarité. Elle est une occasion unique de prouver que l’Union, quand elle est fidèle à ses valeurs, fait vraiment la force.
Emmanuel Maurel, lors des universités d'été du PS à La Rochelle, samedi 30 août 2015
Député européen et figure de l’aile gauche du PS, Emmanuel Maurel, tire les leçons de la crise grecque, critiquant au passage la discrétion de la France et de l’Italie.
Que vous inspire l’expérience du gouvernement Tsipras ?
Comme beaucoup de militants de gauche, j’ai vécu cette période avec espoir, avec angoisse parfois. Et le résultat a produit chez moi comme chez d’autres un effet de sidération. Cela fait longtemps qu’un événement politique ne m’avait pas touché autant, personnellement. Ça interroge notre rapport à la politique, notre façon de penser, notre action d’élu et de parlementaire. C’est pour ça que je dis que c’est quelque chose que j’ai vécu de façon intime. Pour moi comme pour beaucoup de gens la victoire de Tsipras avait suscité un vrai espoir, l’espoir de voir une gauche qui ne tournait pas dos à ses valeurs, qui était attachée à une politique de redistribution des richesses, qui voulait se battre pour la réorientation de la politique européenne. C’est un personnage que je trouve très charismatique pour l’avoir vu au parlement européen, et en même temps une détermination très tranquille que je trouvais admirable.
L’issue de la crise grecque ne vous conduit-elle pas à changer votre rapport à l’Europe ?
A l’issue de la crise grecque, qui n’est que provisoire – la solution n’en est pas une –, la question qui se pose est la suivante : est-ce qu’on peut concevoir aujourd’hui une politique alternative dans le cadre européen tel qu’il est ? À la fois une alternative au niveau national, alors qu’on est pris dans un réseau de contraintes du fait de notre appartenance à l’Union. Et à la fois une alternative au niveau européen, car même si on est plusieurs pays à vouloir infléchir la construction européenne, est-ce que le cadre actuel le permet ? Ces deux questions ne sont pas tranchées aujourd’hui. Moi je ne répondrai pas de façon péremptoire qu’on ne peut rien faire dans cette Europe-là ou que tout est encore possible. Les mois qui viennent vont nous le dire. Mais ce qui est sûr c’est que la crise du projet européen, avec l’affaire grecque et celle des migrants qui est prégnante, est assez spectaculaire. En tant que socialistes, on ne peut plus en rester à des réponses comme «l’Europe c’est notre avenir», «l’Europe c’est la paix», «c’est le niveau pertinent pour répondre», «il faut accepter la méthode des petits pas, accepter naturellement le compromis avec d’autres qui ne pensent pas comme nous»... C’est cette façon de penser qui est remise en cause aujourd’hui.
Il aurait fallu depuis 2012 assurer une confrontation avec l’Allemagne de Mme Merkel
Est-ce que la stratégie de la gauche radicale, qui était aussi celle de Syriza, et qui consistait à désobéir aux traités, n’est pas morte elle aussi ?
La question c’est celle de la masse critique. On peut ne pas respecter les traités ou ne pas rentrer totalement dans les clous, si on est suffisamment nombreux pour poser un rapport de forces. La difficulté de Syriza et de la Grèce c’est qu’ils étaient seuls, et que les alliés potentiels qu’ils auraient pu avoir au début l’ont joué mezzo voce parce qu’ils étaient eux-mêmes obsédés par leurs confrontation avec une partie de la droite conservatrice qui ne voulait faire aucun compromis.
Je pense qu’il est toujours possible de changer les choses, mais il faut avoir pour ça le rapport de forces. Et là clairement Syriza ne l’a pas eu. L’Italie et la France, les Grecs le disent eux-mêmes, sont intervenues trop tard, et peut-être trop discrètement. Il y a notamment dans notre gouvernement, l’idée que l’entente franco-allemande est décisive pour l’Union, qu’il ne faut rien faire pour l’abîmer. La réalité, c’est qu’il aurait fallu depuis 2012 assurer une confrontation avec l’Allemagne de Mme Merkel qu’on n’a pas faite. C’est toute une logique qu’il faut remettre en cause. Au Parlement européen faute de majorité claire on en est à rechercher des compromis avec les conservateurs, compromis qui sont plutôt à l’avantage de la droite.
Cela ne remet-il pas en cause l’Eurogroupe qui fonctionne comme une instance absolument non-démocratique ?
La question démocratique est présente partout, et pas seulement sur l’Eurogroupe. Est-ce que l’Europe est autre chose qu’une cour de discipline budgétaire fondée sur le principe de sanctions et de punitions en cas de désobéissance ? Comment expliquer qu’on en soit arrivé à un point tel que systématiquement quand l’avis du peuple est demandé on a des institutions européennes qui se crispent, ou en viennent même à des menaces ? On a parfois l’impression que ceux qui prophétisaient une espèce de post-démocratie, c’est-à-dire en gros une entité supra-nationale dirigée par une oligarchie et une technocratie qui ferait tout sans demander l’avis des citoyens concernés, ne serait pas en train de se réaliser.
Que faire face à cette situation ?
On doit réinterroger complètement notre rapport à la construction européenne. On ne peut pas s’en sortir en disant l’Europe c’est bien, il faut plus d’intégration, et puis un jour peut-être on sera majoritaire et ça changera. On voit bien que c’est plus compliqué que cela, que ça ne marche pas comme ça. Plutôt que de dire il ne faut pas trop construire de rapports de forces parce que sinon c’est la crise, reconnaître que la crise est là avec sa brutalité et son évidence. Il faut assumer la crise et certains blocages. Moi par exemple je suis pour qu’on dise : aucune intégration supplémentaire tant sur les questions d’harmonisation fiscale et sociale on n’a pas avancé. Il faut avoir à un moment le courage de procéder à de vraies ruptures. Il faut arrêter de craindre de casser un bel outil qui est en réalité délabré et dont les peuples se détournent aujourd’hui. On aurait du le faire dès 2012, comme c’était prévu avec le TSCG. Cela aurait au moins eu le mérite de construire un rapport de forces.
Or il faut avoir la lucidité de constater qu’au-delà des sphères militantes l’opinion n’a pas été très solidaire. Beaucoup de gens, y compris chez nous, pas seulement dans les pays de l’Est et les pays du Nord, étaient acquis à la thèse que les Grecs nous coûtent chers, ils ont vécu de manière déraisonnable, c’est normal qu’ils paient. Contre ça, il faut faire un vrai travail culturel de déconstruction. Sur les dettes, il est urgent que l’on organise une conférence qui montre pourquoi on en est arrivé là et pourquoi la réponse ne peut pas être de dire : il faut réduire la dette et les déficits et ensuite la croissance viendra.
Mobiliser les opinions en faveur d’une alternative en Europe
Que voulez-vous dire ?
La vérité c’est que la crise grecque démontre quelque chose que l’on savait déjà mais de manière spectaculaire : on a socialisé les pertes au moment de la crise de 2010 et là, à l’occasion du «règlement» de l’affaire grecque, on va privatiser les profits. C’est un des points qui m’a totalement scandalisé dans le programme imposé aux Grecs. On voit bien que l’Europe est là pour servir les intérêts des détenteurs du capital. Ceux qui vont racheter les entreprises privatisées sont ceux qui avaient intérêt aux politiques d’austérité pour que leur capital ne soit pas entamé. C’est la énième confirmation de la logique folle du capitalisme financier, une logique de prédation qui aboutit à l’appauvrissement de populations tout entières.
Que pensez-vous de l’initiative du Parti de gauche d’organiser une conférence internationaliste, qui réunirait tous les opposants aux politiques d’austérité, intéressés à réfléchir sur un Plan B ?
Tout ce qui peut contribuer à mobiliser les opinions en faveur d’une alternative en Europe est bon à prendre. Après ce doit se faire sans exclusive. Par exemple, je trouve tragique qu’on nous demande de choisir entre Tsipras et Varoufakis qui ont la même lecture des raisons de la crise. Ils ont une réponse différente parce qu’ils ne sont pas aux mêmes postes et n’exercent pas les mêmes responsabilités. Ce serait absurde d’opposer les uns aux autres. J’ai envie de faire en sorte que tous ceux qui se battent pour autre Europe puissent se retrouver.
Nota Bene : Entretien réalisé le 4 septembre pour nourrir le dossier publié dans le n°1368 de Politis (10 septembre) : «Quel plan B pour changer l’Europe ?»
« Le projet de rapport est encourageant, j’y apporte maintenant des recommandations plus explicites envers les acteurs de l’évitement fiscal »
La commission TAXE dispose d’un bon texte de départ
Suite à l’affaire Luxleaks, nous étions nombreux à soutenir l’ouverture d’une commission d’enquête. La droite européenne s’y étant opposée, le Parlement européen a néanmoins mis sur pied la commission spéciale TAXE, dans laquelle je siège. Chargée de dresser un bilan des pratiques d’optimisation fiscale agressive, et de formuler des recommandations pour y mettre un terme, elle vient de délivrer son projet de rapport.
Fruit d’un compromis entre un rapporteur libéral et une rapporteure socialiste, le texte est solide. Moins d’un an après les révélations d’Antoine Deltour sur les montages des multinationales avec le Luxembourg, il livre un bilan synthétique et sans fard des diverses pratiques utilisées, des dispositifs fiscaux « à risque », et des acteurs qui participent à ces montages.
La réforme ACCIS donne corps au projet européen
En outre, je partage son intuition générale : l’Union européenne doit pouvoir progresser vers une fiscalité plus harmonisée. Comment comprendre sinon, que les capitaux puissent circuler librement dans l’Union, mais que des Etats tentent de capter les ressources fiscales de leurs partenaires voisins ? Chacun doit avoir le droit de fixer librement son taux d’imposition, mais les exceptions à la règle, ou ses interprétations parfois laxistes (à travers les fameux « rescrits » fiscaux) doivent être encadrées et harmonisées.
C’est exactement la voie choisie par le rapport, qui poursuit une ambition à la hauteur de l’enjeu : créer une assiette d’imposition des entreprises (la base d’imposition, c’est-à-dire ce qui est taxé) au niveau de l’Union européenne. Cette assiette, serait commune pour toutes les entreprises de l’Union, et, c’est un point capital, « consolidée ». On appliquerait donc enfin l’impôt à la société en général, et non à chacune de ses filiales. Car l’impôt actuel sur les sociétés permet aux entreprises de manipuler les prix qu’elles s’appliquent en interne (prix de transfert), de filiale à filiale, pour que leurs transactions échappent à l’impôt. Ce projet, nommé ACCIS (Assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés), constitue à la fois une formidable opportunité de simplification, et de transparence. Elle réduirait considérablement les possibilités de concurrence fiscale par le bas entre les Etats membres.
En outre, et ce n’est pas une moindre conquête, les socialistes ont obtenu qu’un taux minimal d’imposition soit effectivement payé par les grandes entreprises. Les taux de 1, 2 ou 3% d’impôt que paient certaines multinationales qui abusent des systèmes fiscaux avec l’aide de certains Etats, doivent disparaître. Ils forment une insulte à tous les contribuables, individus, petites entreprises, qui s’acquittent fidèlement du taux réglementaire.
Contre la délinquance fiscale : prévention et répression
À de trop nombreuses reprises dans cette commission, nous avons entendu les entreprises ou les grands cabinets de conseil répéter que leurs pratiques étaient « légales ». Elles sont en réalité à la frontière de la légalité, puisqu’elles recourent à des accords qui fixent une certaine « interprétation » de la loi. Je crois que sur ce point le projet de rapport de la commission peut se faire plus explicite. Il ne cible pas suffisamment les acteurs de l’évitement fiscal. Face aux comportements des grands cabinets de conseil, qui forment un cartel de 4 giga-entreprises se partageant le marché (les Big Four), et face à des multinationales prêtes à dépenser des sommes considérables pour échapper à l’impôt, l’Europe doit se doter d’instruments concrets et efficaces de prévention et de répression.
En matière de prévention, la France, à qui il reste toutefois du chemin à parcourir, possède un outil très pragmatique : « l’abus de droit » en matière fiscale. Selon la loi française, si un montage a été conçu « dans le but exclusif d’échapper à l’impôt », alors il est considéré comme illégal. Je suis favorable à ce que l’on introduise le même dispositif dans la loi européenne. Les multinationales qui payent 2% au Luxembourg parce qu’elles ont créé un système dédié à cette optimisation fiscale ne pourront plus arguer de sa légalité.
Mais les multinationales s’appuient toujours sur l’expertise des Big Four pour optimiser leur fiscalité. Pourquoi ? Parce que ces 4 grands cabinets de conseil … sont aussi les seuls à conseiller les administrations publiques. Devant la commission TAXE, nous avons vu qu’un même cabinet, Ernst & Young, avait proposé au Gouvernement britannique un dispositif complexe de fiscalité sur les dépenses de recherche … puis avait fait la promotion des failles de ce même dispositif auprès de ses grands clients privés. Ces entreprises de conseil sont en position ultra-dominante, et en situation évidente de conflit d’intérêts. Pour casser cette collusion d’intérêts, j’ai proposé que le groupe socialiste soutienne une stricte interdiction, pour les entreprises qui conseillent des entreprises en optimisation fiscale, d’avoir aussi des activités de conseil aux administrations fiscales. L’incompatibilité ne doit pas seulement concerner les personnes, les employés d’un cabinet de conseil, mais l’entreprise entière.
Enfin, il y a un domaine sur lequel les sanctions doivent être automatiques : c’est le recours aux paradis fiscaux. La Commission européenne vient d’établir une liste de « territoires non coopératifs » (entendre : paradis fiscaux), qu’il est nécessaire d’activer. Chaque flux sortant d’un Etat membre vers un paradis fiscal devrait faire l’objet d’une retenue à la source, et la société qui l’émet devrait perdre le bénéfice de tout dispositif fiscal ou juridique qui facilite la planification fiscale.
Ce sont ces principes qui me guideront dans le travail de discussion et d’amendement qui s’ouvre au sein de la commission TAXE. Je veillerai aussi à proposer des initiatives forte pour que les pratiques fiscales des Etats européens soient corrigées, lorsqu’elles portent préjudice aux pays les moins avancés, dont le développement pâtit du manque de recettes budgétaires.