Texte alternatif présenté par le texte d'orientation n°4 « L'Union & l'Espoir »
Le temps des ruptures
Pour les Socialistes français, les élections européennes sonneront comme l'heure de vérité. Poursuite du déclin ou sursaut salutaire : notre avenir est entre les mains des militants.
Nous devons être conscients que nous ne parviendrons à sauver le Parti et plus encore l’idée et le projet socialistes que si nous savons les libérer du conformisme intellectuel et politique dans lequel ils sont figés depuis plus de vingt ans ; que si nous sommes capables de tirer les leçons de l’échec des centres gauches auxquels se sont malheureusement réduits au pouvoir la social-démocratie européenne et le socialisme français ; qu’à la condition, enfin, d’évaluer lucidement la situation, à commencer par celle de l’UE. L’Europe se défait sous nos yeux, comme se défont nos modèles sociaux, à mesure que grandit l’inquiétude des peuples quant aux orientations qu’elle prend. Nous devons le dire avec force : la poursuite de ses politiques la détruit de l’intérieur et quiconque veut, comme nous tous, croire dans l’avenir de l’Europe doit tout mettre en œuvre pour lui donner un nouveau cours !
Seuls des choix clairs, des ruptures fortes, des engagements solennels nous permettront d'enrayer la spirale négative qui mène le Parti socialiste vers la marginalité politique et électorale.
Si nous voulons que les élections européennes marquent le début de la reconquête, nous devons nous astreindre à un devoir de sincérité.
Devoir de sincérité envers l'Europe d'aujourd'hui
Si l'Europe se meurt, c'est parce que les citoyens du continent ont l'impression que l'Union se construit sans eux, voire contre eux.
Depuis plusieurs années tout a été fait pour les déposséder des choix économiques et sociaux. Le résultat est connu : politiques d’austérité, recul de l’intervention publique, mise à mal des modèles sociaux, désindustrialisation de nombreux pays, triomphe de la finance.
Seul un changement radical permettra de sauver l’Union européenne.
Les hypocrites ou les naïfs déplorent les effets dont ils chérissent les causes. La progression effarante du nationalisme ne doit rien au hasard : elle est le résultat d'une politique aveuglée par des dogmes dépassés et la défiance par rapport à l'expression de la souveraineté populaire.
La compétition acharnée entre des concurrents qui se défient ne produit pas de la coopération pacifiée entre des partenaires qui s’apprécient. Seule la volonté politique a ce pouvoir.
Les traités actuels sont comme une camisole de force dont les peuples longtemps abusés veulent désormais se débarrasser. Et les vrais fous sont ceux qui, en dépit des échecs et des crises, s'obstinent à mener la même politique.
Oui, ce qui tue l'Europe, c'est l'absence de solidarité.
Absence de solidarité avec l'extérieur : pour répondre à la crise des réfugiés, il était pourtant facile d'imaginer une réponse rationnelle, humaine, coordonnée. En laissant trop longtemps les pays du Sud assumer seuls l'afflux de migrants, en n'assumant pas le rapport de forces avec les gouvernements xénophobes de certains pays de l'Est, les dirigeants des institutions européennes ont contribué à laisser pourrir la situation.
Absence de solidarité à l'intérieur : comment expliquer aux gens que si les politiques budgétaires et monétaires sont communes, les politiques sociales et fiscales sont laissées à la concurrence acharnée ? Renforcer le capital et affaiblir le travail : ce n'est pas là notre rêve européen.
Cette absence de solidarité, elle se vérifie aussi par d'inquiétants déséquilibres. Les dysfonctionnements structurels de la construction européenne ont entraîné un dépérissement industriel et économique de l’Europe du Sud au profit de l’Allemagne. Ainsi le profond déséquilibre des échanges entre la France et l’Allemagne, que les gouvernements successifs ont laissé s’instaurer, est porteur de graves dangers, pour notre pays comme pour l’Europe elle-même.
On ne construit pas un destin commun avec de tels décalages et la domination d’un seul. Il faut rompre avec la logique du libéralisme, qui justement tend par principe à accroître sans cesse la force du dominant.
Devoir de sincérité sur nos responsabilités dans la situation actuelle
Personne n'est dupe de la stratégie d'Emmanuel Macron. Opposer les supposés « progressistes » pro-européens aux « nationalistes » europhobes est un mauvais conte auquel nul citoyen sensé ne croira. Les gouvernements conservateurs et libéraux ont une responsabilité écrasante dans le développement de la crise européenne. À bien des égards, Libéraux et Nationalistes sont les deux faces d'une même médaille. Mieux, ils se nourrissent l'un l'autre.
Reste que la social-démocratie défaillante porte une lourde responsabilité. Faute de volonté politique, ou par adhésion idéologique, la social-démocratie a accompagné l’avènement de l’Europe libérale. Les cinq dernières années en ont hélas donné une preuve supplémentaire.
Le bilan européen de François Hollande est marqué d’erreurs majeures. Son refus de renégocier le TSCG, à rebours de sa promesse de la campagne de 2012, a empêché toute réorientation de la politique économique de l’Union, a approfondi la défiance qu’une large part du peuple de gauche entretient à notre égard, en particulier s’agissant de la construction européenne.
L’absence de volonté politique (à commencer par le refus de construire un rapport de forces face à l’Allemagne) a fait le reste, laissant croire qu’aucune politique alternative n’était possible. La signature des traités de libre-échange, en particulier le CETA, a confirmé l’acceptation du dogme du libre-échange généralisé sans normes sociales et environnementales.
Mais il y a pire : parfois, c’est le gouvernement français qui a combattu… des mesures que nous socialistes avions inlassablement promues : ainsi, la taxe sur les transactions financières.
Notre volonté de changer l’Europe ne sera pas crédible auprès des Français si nous ne reconnaissons pas ces erreurs et n’engageons pas, par des actes clairs, des ruptures avec ces choix antérieurs.
Faute de donner une impulsion nouvelle, faute de se donner les moyens de renverser la table, au mieux social-défaitiste, au pire néo-libérale, la social-démocratie a failli.
La confusion politique est à son comble. Compromis quasi systématique avec la droite, vote majoritaire en faveur du CETA, absence de remise en cause des carcans budgétaires : difficile de différencier la gauche et la droite sur les sujets économiques et sociaux. Il faut dire que, dans bien des pays, nos « partis frères » gouvernent avec les conservateurs ou les libéraux, voire avec l’extrême droite !
Ainsi, l’existence d’une grande coalition en Allemagne avec Merkel pèse dramatiquement sur les choix du Parlement européen.
De surcroît, dans bon nombre de pays de l’Union, les sociaux-démocrates refusent les alliances à gauche, sans compter ceux qui renvoient dos à dos « les populistes des deux bords » pour mieux justifier au nom du réformisme, la complaisance avec la droite, la connivence avec le centre et au fond le basculement de ces partis au centre-gauche, rebaptisés « progressistes » pour l’occasion.
Cette stratégie a permis à l’extrême-droite d’apparaître, avec ses thèses nauséabondes et dangereuses, comme incarnant l’alternative ! Il y a urgence à faire naître une alternative fédérant la gauche et les écologistes : c’est la seule façon d’enrayer la montée des replis identitaires et nationalistes.
Là aussi, des ruptures s’imposent…
Rupture numéro 1 : aucun compromis avec la droite et les « progressistes » autoproclamés ! Une seule stratégie : l’alliance de la gauche et des écologistes
En 2014, en dépit d’une campagne très dure contre lui, la majorité du groupe social-démocrate a voté, à la demande de notre Spitzenkandidat Martin Schulz, en faveur de Jean-Claude Juncker, le VRP des paradis fiscaux.
Son action à la tête de la Commission a été calamiteuse. Sans souffle, sans élan, sans vision, la Commission européenne a grosso modo mis ses pas dans ceux de la précédente dirigée par Barroso : austérité, dogme de la concurrence libre et non faussée, religion du libre-échange. Confrontée à des crises majeures (Brexit, Grèce, Réfugiés), elle est apparue ballottée et inefficace et au final complice d'une précarisation d'un nombre croissant de citoyens, du maintien d'un chômage de masse et du recul de l'adhésion à l'idée européenne.
Mêler à nouveau nos voix à celles de la droite serait nous condamner à l’impuissance et au déshonneur. Dès lors, soyons extrêmement clairs : nous devons prendre l’engagement solennel de ne pactiser ni avec les Libéraux, ni avec les Conservateurs à l’occasion de la prochaine mandature. De même, nous refuserons une alliance des « Progressistes », faux nez d'Emmanuel Macron pour organiser un centre néo-libéral. Les élus socialistes français s’engagent à réserver leur voix à un candidat de gauche (se revendiquant clairement d'un rassemblement Rouge-Rose-Vert) à la Présidence du Parlement européen et à la Présidence de la Commission et à refuser la confiance à toute Commission de « grande coalition » avec la droite.
Pour politiser le débat européen, les socialistes doivent présenter une alternative claire aux citoyens et donc rétablir sans ambiguïté le clivage droite-gauche. En conséquence, nous devons non seulement refuser tout compromis, même technique, avec les Conservateurs et les Libéraux, mais aussi démontrer notre volonté de construire des ponts avec les autres familles de la gauche européenne : nous créerons un intergroupe avec les députés écologistes et ceux de la gauche dite radicale, avec un programme de travail pour la mandature.
Rupture numéro 2 : Contre la logique actuelle du PSE, pour un renouveau du mouvement socialiste européen
Coquille vide, le PSE est traversé par des contradictions fortes. Incapable de définir une stratégie claire, encline à toutes les compromissions, cette confédération de partis en est réduite à élaborer régulièrement des textes fades, atténués jusqu’à l’extrême, proclamant un progressisme de façade mais cautionnant toutes les dérives des partis adhérents.
Tous les cinq ans, nous discutons d’un Manifesto aussi creux que mensonger, puisque nous nous empressons de ne pas en suivre ses idées qui apparaissent généreuses sur le papier. Le temps de la clarification est venu. Pour marquer les esprits, nous avons différentes options. Le mieux est sans doute de se mettre en retrait, de ne pas reconnaître le Manifesto comme notre viatique pour les élections.
Quant au Spitzenkandidat, nous estimons que la situation est trop confuse pour nous sentir liés par sa procédure de désignation. De quoi aurions-nous l’air si le candidat choisi soutient, une fois élu, les alliances avec les macronistes et les Libéraux ? Que dirons-nous si, une fois les élections européennes passées, notre candidat décidait de mettre ses pas dans ceux de ses prédécesseurs, accompagnant le déploiement de l’Europe libérale ? Tous les candidats pressentis aujourd'hui au sein du PSE s'inscrivent justement dans cette continuité : nous ne pouvons les soutenir.
Rupture numéro 3 : Parler vrai ! Notre projet n’est pas réalisable dans le cadre des traités actuels !
La plus grave erreur politique des dirigeants du PS au cours de la décennie écoulée est d’avoir passé outre le vote des Français contre le Traité constitutionnel de 2005, en laissant ratifier le traité de Lisbonne, en complicité avec la droite. Ce fut en effet une double faute : atteinte à la démocratie d’une part, entrave structurelle à toute réorientation réelle d’autre part.
Sous prétexte de « ne pas bloquer l’Europe », nous avons ainsi approuvé la constitutionnalisation d’une politique ordo-libérale qui a mis à mal notre modèle social et républicain. Elle constitue évidemment un obstacle majeur à la mise en œuvre d'une politique de gauche ; c'est pourquoi, afin de tenir les promesses de la campagne victorieuse de 2012, il était cohérent d'annoncer que l'on ne ratifierait pas le TSCG sans renégociation substantielle. L'abandon de cet engagement pris devant les Français nous a par la suite empêchés de réaliser le programme de 2012.
Comment défendre les services publics, qu’il s’agisse de La Poste, forcée de déserter les campagnes pour rester « compétitive », ou de la SNCF, obligée de fermer les petites lignes déficitaires, dans un cadre européen généralisant la « concurrence libre et non faussée » à toute activité humaine ?
Comment soutenir les aspirations de notre base sociale, particulièrement les ouvriers, les employés, sauvegarder leurs emplois et améliorer leurs conditions de travail, dans une mondialisation non seulement acceptée par l’Europe, mais aussi étendue, aggravée sous l’effet de la liberté de circulation du capital et de l’accumulation des accords de libre-échange ? Comment assurer le redressement industriel en interdisant les « aides d’État » (Airbus n'aurait jamais vu le jour sans cela) et en laissant faire le dumping fiscal et social ?
Cette dérive, inscrite en toutes lettres dans les traités, porte également atteinte à nos engagements pour la transition écologique et rendent encore plus hypocrites nos grands discours sur cet enjeu.
Enfin, la répression de toute politique interventionniste, notamment en faveur de l’investissement public, contenue dans le traité budgétaire auquel François Hollande s’est immédiatement soumis après avoir pourtant fait campagne pour sa renégociation, détruit les marges de manœuvres des collectivités et imprime une marche forcée vers l’austérité que nous avons chèrement payée aux élections de 2017.
Il est plus que temps de revendiquer une inversion complète du cours actuel de la construction européenne et donc de réclamer une révision en profondeur des traités, afin de sortir de cet ordolibéralisme qui mène droit à la dislocation de l’Union.
Soyons cohérents et ne berçons pas nos concitoyens d'illusions : bon nombre de nos intentions, de nos propositions, aussi intéressantes que nécessaires, ne pourront pas être mises en œuvre dans le cadre des traités actuels. Nous ne pouvons pas taire cette réalité sauf à accroître encore le discrédit qui nous frappe. Il y a bien sûr la possibilité de s'affranchir de certaines dispositions des traités afin de créer l'indispensable rapport de force nécessaire à cette révision stratégique. Assumons donc clairement ce choix
Rupture numéro 4 : des combats communs pour la gauche européenne, des mobilisations citoyennes à organiser
Pour une relance européenne
L’urgence : lancer des politiques nouvelles autour de projets mobilisateurs, seuls susceptibles de provoquer le « choc de confiance » inlassablement psalmodié par les Libéraux, mais toujours reporté.
Mobilisons les Européens sur ce qui les intéresse, particulièrement la lutte contre le changement climatique, la création d’emplois et la réduction des inégalités, le soutien aux salaires et au pouvoir d'achat, les investissements d'avenir ; et finissons-en avec cette obsession maladive des déficits et de la dette, avec ces politiques austéritaires qui ne réduisent ni les uns ni l’autre et nous maintiennent dans un état permanent d’angoisse et de dépression.
Lutter contre l’austérité n’est pas un « marqueur politique » ou une valeur culturelle, c’est une nécessité économique, sociale et politique.
C’est donc dans la relance européenne, et certainement pas dans une nouvelle cure d’austérité, au niveau des États comme au niveau de l'Union, que réside vraiment le choc de confiance. Mais le budget de l’Europe stagne à 1% du PIB. La dernière proposition de la Commission pour 2021-2027 monte péniblement à 1,1% du PIB, alors que dans le même temps les budgets nationaux sont soumis à la contrainte et au dénigrement perpétuel de la dépense publique.
Nous proposons de tripler le budget européen. D’environ 1 100 milliards sur 7 ans, il doit passer à 3 000 milliards (3% du PIB européen). Avec cet argent, nous aurons enfin les moyens de sauver notre agriculture et de réorienter la PAC vers le biologique, sans pesticides ni perturbateurs endocriniens. Nous donnerons un énorme coup d’accélérateur à la transition énergétique, à la diffusion des nouvelles technologies au service des besoins humains, un nouveau mode de développement plus harmonieux et moins polluant, et au rattrapage des régions défavorisées. Ces aides généreront à leur tour d’innombrables externalités positives en termes d’innovations, d’emplois et d’infrastructures.
Pour financer cette relance, nous proposons la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’Union qui concrétisera les promesses de la COP21, ainsi qu’une taxe sur les transactions financières. Ces deux taxes abonderont le budget européen à hauteur de 500 milliards d'euros (soit 70 milliards par an), les 1 500 restants provenant d’un nouveau « round » de Quantitative Easing de la BCE, qui n'a pas eu de mal à soutenir largement le système financier entre 2015 et 2018 à hauteur de 3 000 milliards d’euros.
Pour une harmonisation fiscale et sociale vers le haut
Si la Charte des Droits fondamentaux rédigée en 2004 a quelque peu atténué la violence de la guerre économique intra-européenne, offrant à tous les travailleurs européens un socle de droits et de garanties (comme le droit aux congés, aux conventions collectives, à la représentation syndicale...), la « concurrence libre et non faussée » n’en a pas moins fait son œuvre : l’écart de rémunérations entre l’Est et l’Ouest demeure, 15 ans après l’élargissement, très important.
Il n’est pas tolérable qu’en Europe, les travailleurs puissent compter sur un salaire minimum de 1 400-1 500€ bruts en France ou en Allemagne, et se contenter de seulement 450-500€ dans la plupart des pays de l’Est. Il faut créer un salaire minimum européen, qui pourrait d’abord s’établir à la moyenne basse des pays de l’Ouest (éloignée d’environ 100-150€ de la moyenne haute des pays de l’Est), puis converger rapidement vers des standards plus élevés, de l’ordre de 1 000€ par mois. Derrière les mots se cachent parfois des réalités contradictoires. Ainsi pour certains (y compris au sein de la social-démocratie), le salaire minimum européen serait fixé selon un pourcentage du salaire médian ou moyen de chaque pays… Cela n'engage aucun chemin de convergence mais maintiendrait les écarts inacceptables et la logique de dumping social qui provoque tant de délocalisations. Nous devons assumer l'objectif de converger vers un même SMIC en Europe ; nous devons aussi interdire la logique des « jobs » à bas coûts qu'il s'agisse de ressortissants de l'Union ou des travailleurs immigrés.
Pour limiter une concurrence délétère entre salaries européens, livrée au nom de la « liberté de la prestation de service », il convient aussi de faire du travail détaché une exception. À défaut d’un accord sur ce point, la France devra prendre des mesures unilatérales pour enrayer cette discrimination à l’encontre des travailleurs résidant sur notre territoire.
En matière de fiscalité, la situation est tout aussi grave et cause de nombreuses tensions entre États. Les paradis fiscaux se multiplient en Europe. Pour attirer le capital, c'est cette stratégie qui est choisie par des pays comme le Luxembourg, l’Irlande, Malte, Chypre, les Pays-Bas). La France n'a pas résisté à la pression et a en conséquence baissé à son tour l’impôt sur le capital.
Par ailleurs, la moindre faille législative est exploitée pour économiser des millions d’impôts sur les sociétés et sur le patrimoine, comme en témoignent les retentissantes révélations de la presse ces dernières années. Alors que les profits des multinationales ont plus que triplé en 30 ans (de 2 000 milliards de dollars en 1980 à 7 200 milliards en 2013), les recettes de la fiscalité des entreprises se sont érodées de 3,6% du PIB en 2007 à 2,8% en 2014…
Tout doit être fait, malgré la rigidité des règles de délibération (unanimité du Conseil), pour obliger, les multinationales à publier leur chiffre d’affaires, leur patrimoine, leurs revenus et leur nombre de salariés dans tous les pays où elles sont implantées. L’objectif politique est de parvenir à un accord sur l’assiette fiscale pour le calcul de l’impôt sur les sociétés et un taux minimum d’impôt pour les entreprises multinationales de 20%.
Tout contournement d’une ou plusieurs législations nationales permettant à une multinationale de payer moins que ce taux, entraînerait automatiquement un redressement fiscal à due proportion, quel que soit l’État membre où se trouve son siège social.
Enfin, l’Union européenne doit sortir de sa paralysie et relever le défi des GAFA. Il est urgent de réduire leur influence, leur pouvoir croissant sur nos vies et en premier lieu les taxer au prorata des richesses qu’ils prélèvent sur nos pays. La première des décisions pourrait être de considérer que toute entreprise multinationale ayant un chiffre d'affaire important dans un pays donné est réputée y avoir un établissement stable, ce qui l'oblige à s'acquitter de l'impôt qui y est normalement dû. L’impuissance de l’Union européenne à lutter contre cette évasion fiscale est intolérable. À défaut d’accord rapide à 27, des coopérations entre États membres résolus à agir devront s’imposer à court terme.
Instaurer la préférence communautaire et un moratoire sur les traités de libre-échange
Même si l’OMC est actuellement en panne – les grandes régions économiques, l’Union européenne la première, lui préférant des accords bilatéraux (par exemple le CETA, le JEFTA ou l’accord avec le Mercosur, etc.) –, le libre-échange domine toujours sans partage l’idéologie des dirigeants européens. La simple évocation d’un changement de vision sur la question demeure insupportable à leurs oreilles. Il est suspect de suggérer la moindre limitation à la libre circulation des marchandises et des capitaux. Il faut pourtant briser ce tabou.
La mondialisation libérale a non seulement des effets catastrophiques sur l’emploi et le tissu industriel, mais aussi des conséquences dévastatrices sur l’écosystème planétaire : le bilan carbone du « grand déménagement du monde » s’aggrave dans des proportions incontrôlables. Pire, lorsque le libre-échange est subi par la partie faible, cela détériore son développement endogène, détruit ses communautés locales et accroît les exodes de populations. Les véritables complices des passeurs ne sont ni le Lifeline ni l’Aquarius mais les accords entre l’Union européenne et la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique.
Ainsi, réparer les dégâts causés par les Européens fait partie des solutions à mettre en œuvre pour résorber les causes profondes de la crise migratoire. Les accords de libre-échange facteurs de déséquilibre, le changement climatique, la multiplication des conflits qui ne sont pas exclusivement dus à des causes endogènes, l'absence de co-développement (dont profitent multinationales et puissances étrangères pour poursuivre leurs politiques de prédation), voilà les raisons véritables de la désespérance de millions d'êtres humains et non d'improbables « appels d'air » dénoncés par les droites conservatrices et extrêmes. Si elle a des frontières, l’Europe ne peut tourner le dos à ses valeurs humanistes. L'Union doit donc définir enfin une réelle politique migratoire commune qui passera par : l'octroi de visas humanitaires, la remise en cause profonde des accords de Dublin (le pays d'entrée ne doit pas être le seul pays pouvant accorder l'asile) qui créent des situations inhumaines, fabriquent des imbroglios administratifs et participent de la montée de la xénophobie aux marches de l'Europe. Les Européens organisent à distance dans les hotspots au Sud de la Méditerranée un parquage violent et inhumain des êtres humains : cette situation est un scandale auquel l'Union européenne devra mettre fin, en dialogue avec nos voisins et les pays d'origine.
La mondialisation du commerce agricole ne bénéficie pour sa part qu’aux grands exploitants et à l’agriculture chimique. Tous les autres agriculteurs, qu’ils cultivent la terre dans le Tiers-Monde ou en France, n’en tirent pas le moindre bénéfice, au contraire. L’Europe doit donc limiter l’importation d’aliments venus du monde entier et ses propres exportations agricoles. De même, il n’est plus possible de laisser gaspiller autant d’aliments. Les Européens jettent chaque année 90 millions de tonnes de nourriture, soit 173 kg par habitant ! Nous proposons que l’Union européenne se saisisse de cet enjeu et se dote d’une directive contre le gaspillage alimentaire. Nous devons défendre partout le principe de la souveraineté alimentaire et de la priorité aux productions locales.
L’Europe ne peut pas davantage tolérer les délocalisations dans le but de réexporter vers le pays d’origine. S’il est évidemment logique d’ouvrir des usines ailleurs pour satisfaire les marchés lointains, ça ne l’est pas pour satisfaire des consommateurs européens frappés par le sous-emploi, sans aucune prise en compte des coûts sociaux et environnementaux.
L’Union européenne doit donc complètement revoir sa politique commerciale. Elle ne peut plus négocier en catimini des accords de libre-échange totalement contraires à la COP21 et mortifères pour ses industries et son agriculture. Les socialistes s'engagent à refuser le CETA à l'Assemblée et au Sénat, à voter contre l’accord avec le Japon au Parlement européen. Au delà, nous proposons un moratoire sur les négociations commerciales aujourd'hui en cours (Mercosur, Mexique, Australie, Nouvelle-Zélande).
Par obstination dans l’erreur et peur irrationnelle de ne plus pouvoir commercer, la Commission mène des politiques qui rabaissent les normes et limitent la capacité de régulation des États. Au lieu de tout niveler par le bas, le commerce extérieur de l’Europe doit devenir le véhicule de nos ambitions : clauses de réduction contraignantes de l’empreinte carbone, du respect des conventions internationales sur le travail mais aussi d’un salaire-plancher, clauses de transparence fiscale, filets de sécurité sur la fiscalité des entreprises… Ce sont ces clauses de nouvelle génération qui aideront nos entreprises dans le commerce international et offriront un tout autre visage à la politique commerciale de l’Europe.
Il faudra aussi mieux répondre au dumping et aux agressions commerciales pratiquées à grande échelle par la Chine ou les États-Unis. L’Europe ne peut plus être l’idiot utile du commerce international. Nous avons besoin d’un dispositif paneuropéen de supervision et d’approbation des investissements extra-communautaires.
La préférence communautaire doit devenir un vecteur stratégique de la politique commerciale européenne. Il faut populariser ce thème en proposant aux citoyens un véritable « Buy European Act », exactement sur le modèle du « Buy American Act » voté en 1933, qui garantit aux entreprises américaines un accès prioritaire aux marchés publics. Cette réforme obligerait les États membres et leurs collectivités territoriales à acheter la moitié de leurs biens et services à des entreprises européennes. Le Buy European Act pourrait sauver ou créer des dizaines de milliers d’emplois et apporterait la preuve de l’utilité de l’Europe aux peuples.
Au-delà, il faut rétablir la politique industrielle, sans laquelle l’Europe est désarmée. L’évocation d’Airbus ou d’Arianespace suscite l’orgueil des Européens. Malheureusement, ces exemples cachent mal une coopération industrielle au point mort en Europe, car les ingrédients qui ont fait le succès de ces entreprises ne sont plus là. Parce que les élites ne croient plus au patriotisme industriel, ils n’imaginent pas un patriotisme européen. Pendant ce temps, un nombre croissant d’États membres s’emploient à ne devenir que des plateformes d’atterrissage de multinationales américaines ou chinoises. Les ingrédients indispensables à une politique industrielle européenne doivent être fournis : augmentation des programmes de recherche, des fonds d’investissement, des avances remboursables, des soutiens aux filières.
L’Europe de la révolution écologique
Pendant longtemps, l’Union européenne a été plutôt en pointe dans le combat écologique et la défense de l’environnement. L’UE a voté de nombreuses directives pour lutter contre la pollution, développer des stratégies de restauration de la qualité environnementale de l’eau, de l’air, des sols ou ou des stratégies de préservation des espèces et de la biodiversité. Elle a aussi pris une part active voire déterminante dans le combat contre le changement climatique. Mais, depuis quelques années, le mouvement est inverse. La logique économique et financière à court terme, le poids des lobbies prennent à nouveau le dessus. Des textes sont votés, mais les moyens effectifs de leur mise en œuvre ne sont jamais dégagés. Faute de voir loin, de fixer des caps ambitieux et de financer des recherches indépendantes et publiques, des programmes d’action, des innovations portant des alternatives à notre mode de développement actuel, l’Union, comme nombre d’États membres qui la composent, n'est pas à la hauteur des enjeux et ne prend pas la mesure de la gravité et de l’urgence de la situation.
Après avoir signé l’accord de Paris sur le changement climatique, l’Union voit cette année sa production de gaz à effet de serre augmenter (elle a pourtant baissé pendant des années). Mais là encore aucune sanction prévue.
Le Parlement européen devra adopter le plus tôt possible un plan d’interdiction des pesticides et un grand programme européen de recherches publiques pour les pratiques alternatives non polluantes. L’urgence est d’obtenir l’interdiction immédiate et réelle du Glyphosate. L’Union doit se retourner contre ces grandes entreprises qui, comme Monsanto, ont pollué et polluent nos eaux, nos sols, nos aliments et donc nos corps.
Il est nécessaire d'engager systématiquement une évaluation des directives environnementales pour accélérer leur mise en œuvre, voter des programmes et financement et rattraper le temps perdu. C’est particulièrement vrai pour la restauration de la qualité de l’eau douce et des mers et océans, mais aussi pour la réduction des déchets dont il faudrait interdire toute exportation ainsi que le démontage et recyclage hors de nos frontières, rejetant les risques et pollutions sur d’autres continents.
Le plan de relance que nous soutenons doit consacrer un plan pluriannuel d’investissement public pour les énergies renouvelables, les économies d’énergie et la mutation vers des activités économiques dé-carbonnées.
Ces programmes devront être réalisés en partenariat étroit avec les États membres et les différentes régions qui devront s’engager de façon concrètes et précises.
Les financements européens doivent être conditionnés au lancement de ces actions et à l’atteinte des objectifs fixés. Le Parlement européen, qui a un rôle de co-décision budgétaire, doit en faire une exigence absolue.
Nous proposerons à l’intergroupe des gauches et écologistes d’organiser chaque année, avec les ONG et la participation des citoyens – consultés aussi par internet –, un Forum de la révolution écologique pour suivre et enrichir une feuille de route de l’Union européenne et éviter l’inertie des institutions. Rien n’est possible sans la mobilisation citoyenne.
Une Europe enfin indépendante
L’Europe demeure, et demeurera dans le court et le moyen terme, une coopération de nations. Il n’y a pas d’« égoïsmes nationaux » mais des intérêts nationaux : le rôle de l’Union n’est pas de les contrecarrer, mais de favoriser et sublimer ceux qui sont convergents.
Or l’Europe, peut-être bercée par une illusion de « fin de l’histoire » depuis l’effondrement soviétique, voit revenir le germe de la guerre : à ses portes, au Sud d’abord, à l’Est ensuite ; et sur son sol, avec l’importation du djihadisme. La paix, dont nous nous enorgueillissions, est bien plus la cause que la conséquence de la construction européenne.
Aujourd'hui cette paix doit peu, trop peu, à notre propre capacité d’assurer la défense de notre intégrité.
C'est là tout l'enjeu du débat autour de La Défense européenne. L’indifférence à notre sécurité dont témoignent de plus en plus des États-Unis soucieux de leurs seuls intérêts doit nous conduire à reconsidérer le rôle de l’OTAN et à remobiliser la coopération inter européenne pour autant, naturellement, qu’elle ne serve pas de prétexte à répondre à l’exigence américaine d’une augmentation de notre contribution budgétaire à l’alliance.
Face à Trump, il est urgent de relever le défi. Quand Washington renie sa signature de l’accord nucléaire iranien, et plus encore prétend sanctionner nos banques et nos entreprises désireuses de poursuivre leurs investissements à Téhéran, nous ne pouvons rester inactifs. Où sont passées les ambitions de faire de l’euro une monnaie d’échange international capable de concurrencer le dollar et contrecarrer l’hégémonie américaine ? Où sont les mesures de rétorsions qui seraient déclenchées si nos entreprises restant en Iran étaient pénalisées ? Comme cela est déjà arrivé à de multiples reprises depuis 1981, la France doit actualiser, ou à défaut adopter, une loi de blocage interdisant à nos établissements économiques et financiers de se soumettre aux injonctions d’un pays tiers. A défaut, que resterait-il de notre indépendance nationale si nous ne pouvons plus décider de notre politique étrangère ?
Une Europe au service de ses peuples exige une France au service du sien.
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La France, dans l’Europe d’après.
L’enjeu des prochaines élections européennes est un enjeu de méthode autant que de propositions pour l’Europe : faut-il poursuivre la méthode des accommodements raisonnables avec les puissances de l’argent et les diktats des nationalistes, ou porter des ruptures ?
Nous, socialistes, nous plaçons évidemment dans le camp de la rupture.
Conscients que l’Europe d’après ne se construira pas sur les chimères d’antan – le Libéralisme, la « main invisible du marché », la primauté de l’économique sur le politique –, nous devons proposer à la gauche européenne une nouvelle alliance des peuples.
Face aux problèmes politiques de l’Europe, la France a toujours échoué quand elle s’est abîmée dans les armes ou perdue dans les songes. En revanche, elle a toujours réussi à convaincre, à changer les rapports de force et, pour tout dire, à éclairer le monde, quand elle a usé de la meilleure méthode : montrer l’exemple.