UNE RESPONSABILITÉ HISTORIQUE.
Notre parti, le Parti socialiste, connaît une situation inédite. La double déroute du printemps 2017 n’a en effet pas d’équivalent dans notre histoire politique. En 2012 nous avions tous les leviers pour transformer la société. Cinq ans plus tard, nous n’en avons pratiquement plus aucun. Jamais, sous la Vème République, un parti n’est passé si vite de l’omniprésence politique à la marginalité électorale.
Ce vote-sanction ne saurait s’expliquer par la seule « usure du pouvoir ». Pour nombre de nos compatriotes de gauche, ce quinquennat a représenté une perte des repères spectaculaire. Pacte de responsabilité, loi travail, déchéance de nationalité : les Français ne se sont pas reconnus dans ce que nous avons fait, et, finalement, ne nous reconnaissent plus.
Dans ce paysage politique profondément bouleversé, il serait déraisonnable de penser que nous reviendrons mécaniquement aux responsabilités. Il faudra plus que les fautes des uns ou les échecs des autres pour revenir au pouvoir. La reconquête requiert un travail collectif méthodique, humble, sérieux, et l’ambition assumée de changer la société : pour ceux qui souffrent le plus, la reconquête ne peut pas attendre.
Nous en sommes capables ! Parce que nous continuons à croire à l’actualité du message socialiste. Parce que, sur le terrain, des milliers de militants et d’élus continuent d’agir sans rien renier de nos principes communs. À celles et ceux qui ont eu le courage de rester, nous proposons de relever la tête, de viser l’horizon et de redonner l’espoir.
1. CE QUE NE DOIT PAS ÊTRE LE CONGRÈS D’AUBERVILLIERS.
Nous n’avons pas le droit ou le luxe de reproduire les figures habituelles. Évitons :
Un Congrès de « gouvernance », dans « l’entre soi », dont l’enjeu serait le choix du prochain syndic de copropriété, uniquement chargé de faire la police du bruit dans les étages du Parti. Au contraire : du bruit, il faudra en faire pour être à nouveau entendus. Et pour faire du bruit, il nous faudra être rassemblé autour d’une voix forte et claire.
Un Congrès « règlement de comptes » refaisant, dans l’indifférence des Français, le match du quinquennat. Bien sûr, nous devons tirer le bilan de l’expérience de 2012-2017. Mais à quoi bon se renvoyer la balle sur la responsabilité des uns et la faute des autres ? Cela nous ferait oublier qu’un parti vivant doit regarder en avant et pas systématiquement dans le rétroviseur.
Un Congrès « hors-sol », une juxtaposition de slogans creux et de digressions thématiques intéressantes mais sans rapport avec les vraies questions qui nous sont posées au lendemain d’une telle débâcle. Quelles réponses apporter aux enjeux économiques, sociaux, géopolitiques, régaliens, culturels qui interrogent, voire déstabilisent notre société démocratique ? Les Français ne nous jugeront dignes d’être à nouveau écoutés qu’à la condition de travailler sérieusement ces problèmes.
2. CE QUE DOIT ÊTRE LE CONGRES D’AUBERVILLIERS.
Le Congrès d’Aubervilliers doit constituer une première étape déterminante dans la reconstruction de notre unité et de nos perspectives collectives.
1. Réaffirmer la nécessité d’une voie socialiste distincte du social-libéralisme.
A l’heure où les inégalités se creusent à une échelle jamais observée dans l’Histoire, la social-démocratie se trouve comme paralysée. Alors que sa mission historique était de porter un meilleur compromis entre le capital et le travail au niveau des États-nations, elle semble y avoir renoncé depuis l’avènement de la globalisation. Pire, elle donne le sentiment de s’accommoder, voire, parfois, d’accompagner un nouvel ordre planétaire inégalitaire, individualiste, marchand.
Ce “modèle” de développement est pourtant condamné. Il détruit les solidarités et les écosystèmes. Il va même jusqu’à corrompre l’intégrité de la personne et de la conscience, sous l’emprise de la marchandisation et du consumérisme. Il est à proprement parler insoutenable.
C’est le paradoxe du moment que nous vivons : au moment où la gauche peine, nous n’avons jamais eu autant besoin d’un socialisme républicain, antilibéral, écologiste.
2. Assumer clairement les conséquences stratégiques qui s’imposent : opposition à la politique d’Emmanuel Macron, unité des forces de transformation de la société
Le Parti socialiste doit être sans ambiguïté dans le contexte national issu des élections. Nous sommes un parti d’opposition et certainement pas la force supplétive d’une majorité clairement marquée à droite.
Les six premiers mois du quinquennat (ordonnances Travail, suppression de l’ISF, flat tax sur les revenus financiers, baisse des APL, contrôle des chômeurs…) ont démontré de manière éclatante qu’on ne peut pas être socialiste « et en même temps » dans la complaisance à l’égard de Macron. Le cap a été donné, il ne changera pas. Idéologiquement, politiquement, économiquement, Emmanuel Macron est le Président des riches.
Pendant ce temps, la société civile continue d’évoluer et d’élaborer des revendications nouvelles. Ce faisant elle a produit de nouvelles formes de contestation et d’intervention dans le champ politique : la lutte pour la cause des femmes, les nouveaux comportements de consommation, la dénonciation des paradis fiscaux, la solidarité avec les migrants, la mise en accusation des pollueurs, la révolte devant l’avidité sans limites du capitalisme financier…
Ces nouvelles aspirations ont d’ailleurs été reconnues et prises en compte par la gauche. Dans les collectivités locales, les élus socialistes expérimentent et innovent. Beaucoup ont choisi les circuits courts face à la grande distribution et la malbouffe, de se battre pour faire reculer la pollution, la précarité ou la désindustrialisation, certains expérimentent le revenu de base… À leur échelle, ils contribuent déjà à la transformation écologique et sociale de la France.
Le Parti socialiste devra reconnaître et étendre ces expériences, tout en leur offrant un débouché politique à l’échelle de notre nation et du continent. C’est pourquoi sa ligne stratégique doit être celle d’un dialogue avec toutes les forces de gauche qui veulent transformer la société en profondeur.
3. Pour renouer avec le corps central de la société
Nous considérons que la renaissance du Parti socialiste implique de renouer avec le corps central de la société, c’est-à-dire les millions d’ouvriers et d’employés qui se sont progressivement détournés de nous à partir des années 2000. Cela suppose de donner une priorité réelle dans nos programmes à des questions trop souvent esquivées ces dernières années, telles que le pouvoir d’achat des salariés ou la présence des services publics sur les territoires.
Partager les richesses
Le néolibéralisme déstructure et déshumanise, il empêche de bien travailler et sa rengaine de « l’insuffisante compétitivité » ajoute la démoralisation au stress, alors même que la productivité du travail est en France parmi les plus élevées du monde.
Les salariés attendent de nouvelles perspectives sur leur pouvoir d’achat, sur la sécurité sociale, la protection de l’emploi et la démocratie dans l’entreprise. Ils attendent aussi que nous ripostions fermement à la précarisation et l’atomisation sociale dont usent et abusent les entreprises « innovantes » et « disruptives » du monde merveilleux de l’ubérisation.
Aujourd’hui, les socialistes doivent continuer de se mobiliser contre les ordonnances Macron et la loi travail. Mais c’est aussi leur rôle de mener campagne pour l’augmentation du SMIC (au moment où le mode de calcul de celui-ci est remis en cause), de proposer une « loi islandaise » d’interdiction du moindre écart de salaire entre les hommes et les femmes.
Pour l’écosocialisme
Au risque de l’accaparement des richesses par une minuscule oligarchie, s’ajoute celui d’un désastre écologique et climatique, alors que l’on sait aujourd’hui que les engagements internationaux actuels demeurent insuffisants pour le conjurer, voire juste le limiter.
Qui ne voit, à gauche du moins, que les deux phénomènes, l’ultra-domination économique et financière des « 1% » et la catastrophe climatique, sont inextricablement liés ? L’extrême polarisation des richesses, les conditions insensées de l’exploitation du travail et des ressources naturelles, la dilatation des rapports de production et des profits dans la sphère financière : tout se tient.
Écosocialistes, nous lions le combat social et le combat écologique en renouant avec nos fondamentaux, et en renonçant à la course effrénée au profit et au productivisme, des périls mortels pour le genre humain.
Pour une relance des services publics
Enfin il n’y aura pas d’égalité sociale – et encore moins d’égalité entre les territoires – sans une relance des services publics. Nous avons laissé transformer La Poste, la SNCF, EDF, GDF, France Telecom, en entreprises sinon complètement privées, du moins complètement livrées à la concurrence.
Faut-il répéter que c’est là un pur non-sens ? Les services publics doivent fournir des services de qualité accessibles partout et à tous, ce que ne permet pas le marché. Ils nécessitent des investissements à 30 voire 50 ans. Comment pourraient-ils fonctionner correctement dans un cadre concurrentiel dont le long terme se mesure en mois ? Interrompre la marche folle à la marchandisation des services publics : voilà un axe politique majeur – et un sujet sur lequel mettre en scène la réfutation en actes des contraintes européennes.
4. Pour une Europe au service des peuples
En n’ayant pas su associer engagement européen et souveraineté démocratique, la gauche a été punie et il en a résulté une désaffection grandissante des peuples. Cette crise de confiance suppose de briser la logique austéritaire et inégalitaire de l’Europe et d’en revenir à son ambition initiale : celle d’un espace de solidarité, de prospérité et de protection pour tous.
Mais pour ce faire, nous ne pouvons plus nous payer de mots et d’incantations (« et maintenant l’Europe sociale »). Le risque d’une confrontation doit être assumé clairement, à l’avance, particulièrement pour ce qui relève de la gestion de l’euro, des politiques budgétaires, industrielles et de l’harmonisation sociale. La France doit cesser de sous-estimer sa capacité d’influence ; elle doit rompre avec l’illusion qu’on n’est « crédible » qu’en se montrant l’élève le plus docile et zélé de la classe européenne.
Notre responsabilité européenne nécessite aussi de s’opposer au règne du libre-échange intégral, sous-tendu ces dernières années par la multiplication de projets d’accords bilatéraux (CETA, Mercosur, Corée du Sud, Vietnam, Australie, Mexique…) dont les conséquences risquent d’être dévastatrices pour nos industries et notre agriculture. Les autres grands ensembles géopolitiques (USA, Chine…) veillent à leurs intérêts économiques, pourquoi l’Europe serait-elle la seule refuser de le faire ?
Enfin, comme on l’a observé à l’occasion des Panama Papers, Luxleaks et Paradise Papers, l’Europe s’est montrée faible face au pouvoir de l’argent. Certains États-membres, comme les Pays-Bas, le Luxembourg, se comportent en véritables paradis fiscaux. L’Union européenne est encore trop timide pour lutter contre la fraude. Ce n’est plus supportable. Dans ce domaine aussi, la France doit prendre l’initiative, en assumant le risque de la confrontation.
Les Français veulent se protéger et se projeter : se protéger des menaces de désindustrialisation, de précarisation, de communautarisme et de dérèglement climatique, et se projeter dans l’avenir, comme ils l’ont toujours fait jusqu’ici, en relevant les défis du monde. Entre d’un côté les partisans, au pouvoir, d’une libéralisation de tout et de tous et, de l’autre, les bonimenteurs du repli sur soi, notre Parti peut incarner cette double mission de protection et de projection. Il le peut, il le doit ; reste à le vouloir. C’est l’enjeu de ce Congrès.
5. Un parti conquérant
La lucidité impose de le reconnaître : parmi les causes de l’échec du quinquennat, il y a le rapport trop peu critique aux institutions de la Vème. L’acceptation du présidentialisme qui implique que tout soit soumis à l’exécutif, la trop grande influence de la technostructure d’État et de certains milieux d’affaire, ont nui considérablement à notre exercice du pouvoir. Dans le même temps, renonçant à son autonomie, le Parti a été volontairement inaudible.
Or le rôle du Parti socialiste, c’est d’être l’acteur vigilant de la transformation quand nous gouvernons.
Dans l’opposition, il s’engage dans des mobilisations exemplaires (et en premier lieu celle de ses élus locaux qui s’insurgent légitimement contre les premières mesures du nouveau pouvoir) et prépare la reconquête avec méthode.
Nous voulons que les militants soient les acteurs de la reconquête. Pour cela, nous proposons la tenue trimestrielle de grandes conventions, et le recours régulier au référendum militant pour trancher certaines questions essentielles. Il faudra également produire un effort réel pour apporter une forte formation aux militants.
Ensemble, réfléchissons à une nouvelle organisation qui valorise toutes les formes d’implication et d’engagement : local, bien sûr, mais aussi thématique, dans un secteur professionnel ou en entreprise.
Enfin, il faudra mettre en chantier l’élaboration d’un manifeste pour le socialisme des temps nouveaux dont l’objectif sera de confronter les fondamentaux de notre doctrine aux défis contemporains (numérique, biotechnologies, etc.) qui bouleversent l’humanité.
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L’UNION ET L’ESPOIR !
Le Congrès d’Aubervilliers doit constituer une première étape déterminante dans la reconstruction de notre unité et de nos perspectives collectives.
En 74, un jeune premier, libéral et prétendument surdoué, parvenait à l’Élysée en incarnant l’aspiration au changement, tout en poursuivant une politique plus favorable aux rentiers qu’au monde du travail. La gauche rassemblée le battit dès la fin de son premier mandat.
En 93, le Parti socialiste perdait les trois quarts de ses députés. Par les commentateurs, il était condamné à des décennies d’opposition, voire à une disparition prochaine. Quatre ans plus tard, il dirigeait à nouveau la politique de la Nation, accomplissant la réduction du temps de travail et mettant en place la CMU.
À chaque fois, les conditions du succès furent les mêmes : l’union et l’espoir.
Certes, comme l’expérience militante nous l’a appris, l’union est un combat. Certes, l’espoir ne se décrète pas : il renaît lorsque nous dégageons l’horizon des Français et des Européens, lorsque nous refusons les fatalités qui aliènent, et lorsque nous proposons des mesures qui permettent à chacun d’entrevoir qu’une autre vie, au quotidien, est possible. L’espoir naît du droit aux bonheurs. Dans quatre ans, si elle redevient elle-même, la gauche gagnera.
À nous d’éclairer le chemin et plus nous serons nombreux, plus vite renaîtra parmi nos concitoyens l’espoir d’un monde différent.
Oui, un nouvel avenir est possible pour le Parti Socialiste et pour la Gauche !