Les places financières mondiales se sont effondrées en ce début mars. Une telle violence des baisses d’indices, de l’ordre de 20% en quelques séances, n’avait plus été observée depuis le krach de 2008. Plusieurs facteurs se sont conjugués pour aboutir à ce désastre : des anticipations de croissance moroses, l’arrêt de l’activité en Chine pour cause de coronavirus et un vif désaccord entre Saoudiens et Russes sur la production de pétrole.
Chronologiquement, c’est ce dernier facteur qui a précipité la chute. L’Arabie Saoudite était plutôt encline à réduire la production et soutenir ainsi les cours du baril. La Russie se disait pour sa part qu’un baril durablement sous les 40 dollars pourrait détruire l’industrie américaine du pétrole de schiste (dont le seuil de rentabilité se situe au-delà des 50 dollars). C’est le point de vue de cette dernière qui a finalement prévalu. Mais les cours du pétrole étaient déjà bas, reflétant la faiblesse de l’économie réelle, dès avant l’impact du coronavirus. La gestion de la maladie par la Chine n’a fait qu’aggraver une situation latente de surproduction – et donc de survalorisation des cours de bourse.
A présent, on ne peut que redouter les effets dévastateurs de la crise financière sur la sphère productive. Les banques vont essuyer des pertes colossales et réduire encore davantage l’accès des entreprises au crédit (investissements et surtout trésorerie). De l’autre côté, le coronavirus entraîne non seulement des ruptures d’approvisionnement mais aussi des reports voire des annulations pures et simples d’événements, de transports, de voyages touristiques et professionnels, etc. Ce premier trimestre 2020 subit donc à la fois un choc d’offre et un choc de demande. Tout (en tout cas beaucoup) dépend maintenant de la vitesse de récupération de la Chine, atelier du monde.
Si l’Empire du Milieu se remet en marche d’ici quelques semaines, peut-être que l’économie repartira. Mais ça n’est qu’un « peut-être » car pour de très nombreuses entreprises et secteurs d’activité, « quelques semaines » veut dire une éternité. Faute de clients, de pièces détachées et de crédit, des milliers d’entreprises pourraient avoir entretemps déposé leur bilan.
Mis à part les mesures conjoncturelles que prendront les gouvernements pour atténuer ces chocs (inondation de liquidités sur les marchés, dégrèvements fiscaux et sociaux, voire même des relances budgétaires), la grande question que pose évidemment cette crise est celle de notre dépendance matérielle à la Chine. La consommation mondiale et notamment occidentale, s’appuie sur une production dont la chaîne de valeur remonte presque toujours
là-bas. Hormis quelques niches de type armement ou centrales nucléaires, toute notre industrie contient du Made in China. Si la Chine s’effondre, nous ne pouvons plus produire de voitures, d’avions, d’appareils électroniques, de machines, de médicaments, ni même de vêtements ou de maisons.
C’est si vrai que l’effet le plus catalyseur, intellectuellement, du coronavirus a été de convertir des amoureux de la mondialisation heureuse comme Thierry Breton ou Bruno Le Maire aux vertus de la souveraineté économique. C’est à peine s’il faut se pincer, pour être sûrs de bien les entendre expliquer aujourd’hui le contraire de ce qu’ils nous infligeaient hier. Ils prononcent le mot « relocalisation ». Ils ne font plus des sauts de dix mètres sur leur chaise lorsqu’on leur suggère que le concept de « démondialisation » n’est pas si stupide, ni soviétique, ni vénézuélien que tous les idéologues néolibéraux nous l’enseignaient jusqu’il y a deux mois. On commence à se dire que passer des accords de libre-échange avec l’Australie pour lui acheter du bœuf ou la Nouvelle-Zélande pour lui acheter du lait, n’est pas forcément d’une rationalité économique évidente.
Même l’Union européenne bruisse de ces réflexions sacrilèges – lesquelles ne sont certes pas encore parvenues au cerveau du Commissaire au Commerce international (ce qui s’explique sans doute par la lenteur des influx nerveux chez les dinosaures). Même l’Allemagne (!!!!) convient que la règle d’or budgétaire est un peu trop rigide.
Nous assistons donc aux prémices d’une victoire culturelle. Les faits nous donnent raison. La tension extrême dans laquelle se déploient les flux économiques et financiers mondiaux est en train de se rompre, nous laissant momentanément à poil, et honteux – par exemple de devoir compter sur la Chine pour fournir l’Italie en appareils de réanimation médicale, ou Sanofi en principes actifs médicamenteux.
Tout cela, toutes ces innombrables choses qui nous permettent de vivre dans un confort à peine imaginable pour les humains d’il y a un siècle et demi, nous pouvons le produire nous-mêmes, chez nous. Sans supprimer la mondialisation, nous pouvons et nous devons rapatrier des industries et les compétences, les savoir-faire et les salaires qui vont avec. Le coronavirus vient de nous montrer que la démondialisation n’est pas qu’une question idéologique, ni même principalement sociale; c’est une question de survie.
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