Discours de M. Bernard Angels
Dans le cadre de la discussion générale portant sur le Projet de Loi relatif au « Grand Paris », séance publique du mardi 6 avril 2010
Monsieur le secrétaire d’État, votre projet de loi est démocratiquement inquiétant.
Il marque un stupéfiant recul de la décentralisation. Avec le Grand Paris, vous tournez le dos à plus de trente années de progression des libertés locales : aucune concertation avec les élus locaux, les habitants, le conseil régional ! Pour vous, « l’organisation de la République est décentralisée », sauf en Île-de-France !
Votre projet est financièrement hasardeux : en dépit de vos efforts, vous n’arrivez toujours pas à nous présenter des pistes de financement crédibles. Certes, vous annoncez, comme à votre habitude, la création de nouvelles taxes, mais nous ne savons toujours pas comment vous parviendrez à rembourser les 21 ou 25 milliards d’euros dont vous avez besoin.
Je voudrais surtout vous convaincre que votre projet est aussi, et c’est là le plus préoccupant, socialement et territorialement injuste. Vous prétendez promouvoir le développement et le rayonnement de la région-capitale, mais vous ignorez les outils de cohésion sociale et territoriale que des élus légitimes ont patiemment élaborés : je veux parler, bien évidemment du schéma directeur de la région Île-de-France, le SDRIF, et du plan de mobilisation des transports. Ces documents sont le fruit d’un travail de longue haleine et d’une réelle concertation entre la région, les autres collectivités locales et les Franciliens. Ils ont été largement approuvés par les électeurs, voilà quelques semaines !
Le SDRIF, que le Gouvernement n’a toujours pas transmis au Conseil d’État, veut promouvoir un aménagement du territoire francilien plus harmonieux et plus cohérent. Il veut contribuer à résorber les inégalités sociales et territoriales et mettre notre région à l’heure du développement durable. Plutôt que d’attendre d’hypothétiques retombées résultant de la mise en place d’un réseau de transports à l’horizon des années 2020, le SDRIF fixe des objectifs concrets : la construction de 60 000 logements par an pendant 25 ans et, à terme, un taux de 30 % de logement locatif social.
Quant au plan de mobilisation des transports, il a l’ambition de rattraper le retard accumulé ces trente dernières années, alors que l’État avait la responsabilité des transports en Île-de-France. Pour y parvenir, la région et l’ensemble des départements franciliens ont su s’accorder sur le financement de ce plan, mais vous n’en tenez pas compte. Pis encore, vous dépouillez le Syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, auquel vous aviez pourtant transféré la gestion des transports franciliens il y a six ans !
En ignorant les orientations définies par le conseil régional, le Gouvernement bloque un processus de développement mûrement réfléchi et méprise, par la même occasion, la voix des Franciliens, qui ont été consultés pour son élaboration.
Vous prétendez faire du réseau de transports en Île-de-France un levier pour le développement de la région, mais vous négligez le quotidien et l’urgent : l’amélioration des infrastructures existantes et le renforcement des premiers pôles d’attractivité.
Il est indispensable de commencer par améliorer les conditions actuelles de mobilité des personnes et vous savez que les attentes sont fortes dans ce domaine. L’amélioration du réseau de la grande couronne et celle des liaisons de banlieue à banlieue, voilà une priorité absolue ! Vous faites semblant de l’ignorer.
Dans le département du Val-d’Oise, l’ensemble des élus souhaitent vivement la réalisation du barreau ferroviaire de Gonesse, qui permettrait de relier les lignes D et B du RER. Nous voulons également une liaison structurante entre Cergy et le pôle aéroportuaire de Roissy, car il s’agit là d’un axe stratégique joignant le nord-ouest et le nord-est de l’Île-de-France. Que faites-vous pour cela ?
Nous préconisons la création d’une liaison entre une gare parisienne et la gare TGV Roissy-Charles-de-Gaulle, porte d’ouverture sur le monde. Nous voulons développer le fret fluvial, entre la confluence Seine-Oise et le futur canal à grand gabarit Seine-Europe. Que prévoyez-vous pour faire émerger ces projets d’avenir ?
Votre projet de loi se veut prospectif et stratégique, mais il délaisse l’urgent et le quotidien.
Pis encore, il passe sous silence plusieurs millions d’habitants de la région d’Île-de-France. Je ne prendrai qu’un exemple, celui de mon département, le Val-d’Oise, qui est foncièrement ignoré.
Votre projet se veut englobant et cohérent. Or le projet de métro automatique ne concerne qu’une partie restreinte de la population active censée rejoindre rapidement des pôles de développement économique, dont certains n’existent pas encore. Que faites-vous de l’autre partie ? Et que faites-vous du Val-d’Oise, qui est le grand oublié du projet de loi ?
D’une part, le projet de création d’une ligne de métro automatique en double boucle ne prévoit pas l’irrigation par ce réseau du Val-d’Oise. Excepté au départ de Roissy-en-France, aucune gare n’est située dans le département. Or vous prétendez que ce projet a vocation à remédier aux inégalités territoriales et, donc, à l’enclavement de nombreuses zones franciliennes telles que la Seine-Saint-Denis et le sud du Val-d’Oise.
D’autre part, le Val-d’Oise risque de se voir scindé en deux : une partie serait valorisée car rattachée au Grand Paris au niveau d’Argenteuil-Bezons et profitant de l’aire d’influence de La Défense, ainsi que de la proximité de la zone de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, et une partie serait laissée à l’écart. Comment expliquez-vous que des gens qui habitent à Sarcelles, Villiers-le-Bel, Garges-lès-Gonesse soient obligés de passer par la gare du Nord pour aller travailler à Roissy ?
Pourquoi condamnez-vous les habitants de l’est du Val-d’Oise à subir les nuisances de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle sans jamais leur faire bénéficier des avantages ?
Je ne crois pas, en effet, que le Grand Paris puisse se passer d’un département qui compte 1,2 million d’habitants et dont la population, qui est la plus jeune de France, connaît une croissance démographique continue, supérieure à la moyenne de l’Île-de-France.
Je ne crois pas que le Grand Paris puisse se passer d’un département compétitif et dynamique, qui dispose d’un aéroport international.
Je ne crois pas que le Grand Paris puisse faire l’impasse sur un département qui est aussi un pôle touristique unique, avec l’abbaye de Royaumont, le château de la Roche-Guyon, le musée Van Gogh, le musée national de la Renaissance à Écouen, etc.
Le Val-d’Oise a largement contribué au dynamisme de la région : il est pourtant le parent pauvre de votre projet.
Je me résume en deux phrases. Faire un Grand Paris sans écouter la région, c’est absurde ! Faire un Grand Paris sans intégrer le Val-d’Oise, c’est impensable !
Monsieur le secrétaire d’État, ce projet est une grande déception pour les élus de mon département. Il est grand temps de les associer étroitement à votre démarche.