Notes, textes et informations sur les activités et les positions de la Gauche Républicaine & Socialiste dans le Val d'Oise
Paris, le 23 mai 2016
Monsieur le président,
Une situation exceptionnelle exige une attitude et des actes exceptionnels.
Nous étions cinquante-six députés de gauche et écologistes à signer mercredi 11 mai 2016 un projet de motion de censure afin d’exprimer notre opposition à la loi Travail, élaborée à contre-sens de nos engagements et qui produit une profonde fracture dans notre pays.
Le Premier secrétaire de notre parti a saisi la Haute autorité éthique afin d’examiner cette situation inédite. Ainsi choisit-il de traiter devant une instance éthique un problème politique grave.
Nous sommes fondés à nous étonner de cette « judiciarisation » du débat politique. Il serait plus conforme à notre démocratie de discuter devant le prochain conseil national des raisons qui conduisent de nombreux socialistes à agir ainsi en conscience et en responsabilité.
Nos désaccords doivent être clairement exposés :
Les choix et les méthodes marquant cette période d’exercice du pouvoir nourrissent au sein du Parti socialiste une ambiance explosive et une démoralisation collective, qui servent les intérêts de nos seuls adversaires, à droite comme à l’extrême-droite, tournés vers l’horizon 2017.
L’un des motifs de votre saisine évoque la possibilité d’un vote mêlant les voix de droite et de gauche. Nos intentions et toutes nos déclarations indiquent le contraire et notre hostilité à une « majorité de circonstances ». Les dirigeants de la droite avaient eux-mêmes déclaré qu’ils ne voteraient pas cette motion. Sans doute aurait-il fallu une égale vigilance quand se préparait, avec Nicolas Sarkozy, un vote convergent sur la réforme constitutionnelle et la déchéance de nationalité.
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Mais par respect pour la Haute autorité que vous présidez, nous entendons, au nom de l’éthique, vous apporter également les éléments suivants, qui éclairent une situation sans précédent dans notre parti.
À la vue des événements récents, nous ne doutons pas que l’éthique soit de notre côté.
Rien dans les choix socialistes, dans nos programmes récents ou notre histoire au XXème siècle, rien dans nos engagements présents ou dans l'ensemble des motions du congrès de Poitiers ne vient étayer ce projet de loi dans ses aspects contestables. Bien au contraire. Ainsi, la motion A, signée par le Premier secrétaire et tous les ministres, comportait un passage explicite : « Il faut rétablir la hiérarchie des normes : la loi est plus forte que l’accord collectif et lui-même s’impose au contrat de travail »… L’éthique de conviction s’oppose à ce que la gauche se livre au double langage, l’un dans l’opposition, l’autre au pouvoir ; l’un dans les congrès, l’autre dans l’action. De ces grands écarts, nait l’immense défiance dont nous sommes désormais la cible.
Rappelons que la direction du Parti socialiste a toujours refusé qu'une position précise sur la loi « Travail » soit exprimée et votée par le Bureau national, alors même que nous l'avions demandée à maintes occasions. Au vu du long débat conduit en Bureau national en présence de la ministre du Travail, on peut penser que seule une minorité y était favorable. C’est probablement pour cela qu’aucun vote majoritaire n’y fut sollicité. Aussi, nous n'étions donc engagé(e)s par aucune décision de notre parti sur les aspects régressifs de ce projet de loi : inversion de la hiérarchie des normes du droit du travail, facilitation des licenciements, rémunérations des heures supplémentaires, etc.
Devant le groupe SRC, un vote émis le 10 mai sans être annoncé a réuni moins d’un tiers de l’effectif total du groupe.
Mais partout dans nos fédérations, des voix s’élèvent demandant le retrait ou de profondes modifications du texte.
Depuis de nombreux mois, les virages idéologiques sans préavis divisent la majorité, et fracturent la gauche. Le Premier ministre théorise pour la gauche politique comme pour le monde syndical ces fractures soi-disant irrémédiables. Comment faire barrage à la droite et reconstruire notre parti dévitalisé, si nous n’endiguons pas ces dérives qui poussent au schisme ?
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Nous assumons notre démarche. Nous ne nous inscrivons en rien dans un processus de surenchère ou de séparation, mais resterons fermes quant à notre refus de voir adopter une loi de dérégulation du marché du travail. Nous sommes, aujourd'hui comme hier, disponibles pour un dialogue constructif et force de propositions.
Nous ne cachons pas que l’état du Parti socialiste nous inquiète et nous navre. « C’est assez dire que pour notre part, nous ne voulons plus nous contenter d’assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de consciences des autres ou à la casuistique des autres », écrivait Aimé Césaire, dans sa « Lettre à Maurice Thorez », en 1956. Il exprimait alors ce que nous ressentons ces jours-ci.
Par cette réponse à vos interrogations, nous entendions porter à l’attention du plus grand nombre les motifs qui nous animent et ainsi prendre date sans complaisance.
Veuillez recevoir, monsieur le président, l’assurance de nos sentiments cordiaux et fidèles.
Laurent Baumel - Député d'Indre-et-Loire
Jean-Pierre Blazy - Député du Val-d'Oise
Fanelie Carrey-Conte - Députée de Paris
Dominique Chauvel - Députée de Seine-Maritime
Pascal Cherki - Député de Paris
Aurélie Filippetti - Députée de Moselle
Geneviève Gaillard - Députée des Deux-Sèvres
Linda Gourjade - Députée du Tarn
Benoît Hamon - Député des Yvelines
Mathieu Hanotin - Député de Seine-Saint-Denis
Serge Janquin - Député du Pas-de-Calais
Romain Joron - Député de la Somme
Régis Juanico - Député de la Loire
Laurent Kalinowski - Député de Moselle
Christophe Leonard - Député des Ardennes
Christian Paul - Député de la Nièvre
Michel Pouzol - Député de l'Essonne
Patrice Prat - Député du Gard
Barbara Romagnan - Députée du Doubs
Gérard Sebaoun - Député du Val-d'Oise
Suzanne Tallard - Députée de Charente-Maritime
Paola Zanetti - Députée de Moselle